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CORRESPONDANCE.

sement sèment du temps de Moïse, et à finir par celle des prophètes des Cévennes, qui faisaient une liste des impies que Dieu avait condamnés à mourir par leurs mains.

Ce petit ouvrage peut être curieux, et les notes sur l’histoire romaine seront assez intéressantes : une tragédie toute seule ne peut guère exciter la curiosité. Le public est las de tragédies, surtout depuis que Mlle Clairon a renoncé au théâtre.

Mes anges ne m’ont rien dit de cette fatale catastrophe. La requête de l’avocat[1] de la Comédie n’a pas plus réussi que sa consultation[2] sur Genève ; il est bien difficile de débarbariser le monde.

Je vous supplie, mes divins anges, de lire la pièce d’éloquence que je vous envoie, avec le petit mémoire qui l’accompagne[3] ; vous verrez que j’ai affaire à des fous et à des sots qui ne savent ni ce qu’ils font ni ce qu’ils veulent. Si vous croyez qu’il soit nécessaire de faire parvenir ce mémoire à M. le duc de Praslin ou à M. le duc de Choiseul, je m’en remets à votre décision et à vos bontés.


6330. — À M. LE CHEVALIER DE TAULÈS.
Ferney, 1er mai.

Je suis un pauvre diable de laboureur et de jardinier, possesseur de soixante-douze ans et demi, malade, ne pouvant sortir, et m’amusant à me faire bâtir un petit tombeau fort propre dans mon cimetière, mais sans aucun luxe. Je suis mort au monde. Il ne me faut qu’un De profundis.

Voilà mon état, mon cher monsieur ; ce n’est pas ma faute si Jean-Jacques Rousseau s’imagina que le docteur Tronchin et moi nous ne trouvions pas son roman d’Héloïse assez bon. Souvenez-vous bien que voilà l’unique origine des petits troubles de Genève. Souvenez-vous bien, quand vous voudrez rire, que Jean-Jacques s’étant imaginé encore que nous avions ri des baisers âcres, et du faux germe[4], et de la proposition de marier l’héritier du royaume à la fille du bourreau[5], s’imagina de plus que tous les Tronchin et quelques conseillers s’étaient assemblés chez moi pour faire

  1. Jabineau de La Voute.
  2. Voyez la lettre à d’Argental du 14 décembre 1765.
  3. Voyez la lettre précédente.
  4. Voyez tome XXIV, pages 167, 172.
  5. Émile, livre V.