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ANNÉE 1766.
6326. — À M. LE CHEVALIER DE TAULÈS.
À Ferney, 28 avril.

Je vois, monsieur, que le derrière de Son Excellence[1] n’est pas si bon que sa tête ; j’apprends qu’on lui a fait une opération qu’il a soutenue avec son courage ordinaire ; je m’adresse toujours à vous pour lui faire parvenir les témoignages de mon respect et de ma sensibilité. Il doit savoir combien tout le monde s’intéresse à sa santé : il goûte le plaisir d’être aimé ; c’est un bonheur que vous partagez avec lui. Continuez-moi, monsieur, des bontés qui me sont bien chères, et daignez vous souvenir quelquefois d’un pauvre vieillard cacochyme qui vous aime comme s’il avait eu l’honneur de vivre longtemps avec vous.


6327. — À M. SERVAN,
avocat général du parlement de grenoble.
Avril.

La lettre dont vous m’honorez, monsieur, m’est précieuse par plus d’une raison ; je vois les progrès que l’esprit, l’éloquence, et la philosophie, ont faits dans ce siècle. On n’écrivait point ainsi autrefois ; et à présent les avocats généraux des provinces laissent bien loin derrière eux ceux de la capitale. J’ai remarqué que, dans l’affaire des jésuites, ce n’est qu’en province qu’on a écrit éloquemment. C’est aussi en se formant le goût qu’on s’est défait des préjugés ; je ne parle pas de Toulouse, où le fanatisme règne encore, et où le bon goût est inconnu, malgré les jeux Floraux ; mais l’esprit de la jeunesse commence à s’ouvrir à Toulouse même ; la France arrive tard, mais elle arrive ; elle combat d’abord la circulation du sang, la gravitation, la réfrangibilité de la lumière, l’inoculation ; elle finit par les admettre. Nous ne sommes d’ordinaire ni assez profonds ni assez hardis. Notre magistrature a bien osé combattre quelques prétentions des papes, mais elle n’a jamais eu le courage de les attaquer dans leur source. Elle s’oppose à quelques irrégularités, mais elle souffre qu’on paye quatre-vingt mille francs à un prêtre italien pour épouser sa nièce ; elle tolère les annales ; elle voit, sans réclamer, que des sujets du roi s’intitulent évêques par la permission du

  1. Le chevalier de Beauteville.