Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Genève à le proscrire ; Jean-Jacques, qui s’appuya d’un colonel réformé au service de Savoie, et pensionnaire d’Angleterre, nommé M. Pictet, pour commencer, sur cet unique fondement, la guerre ridicule que Genève fait à coups de plume depuis deux années.

Peut-être les Genevois, honteux d’un si impertinent sujet de discorde, n’ont osé avouer cette turpitude à M. le chevalier de Beauteville ; et moi, qui ne peux sortir et qui passe la moitié de ma vie dans mon lit et l’autre en robe de chambre, je n’ai pu instruire monsieur l’ambassadeur de ces fadaises dans le peu de temps qu’il a bien voulu me donner quand il a daigné venir voir ma retraite.

À la mort de M. de Montpéroux, toutes les têtes de Genève étaient dans une fermentation d’autant plus grande qu’il n’y avait en vérité aucun sujet de querelle. Des animosités, des aigreurs réciproques, de l’orgueil, de la vanité, de petits droits contestés, ont brouillé tous les corps de l’État pour jamais. Quelques personnes du conseil, plusieurs principaux citoyens, vinrent me trouver : je leur proposai de venir tous dîner chez moi souvent, et de vider leurs querelles gaiement, le verre à la main. Comme ils disputaient alors sur des questions de loi qui sont survenues, ou plutôt qu’on a fait survenir, j’envoyai un mémoire[1] à des avocats de Paris, et je reçus une consultation fort sage.

M. Hennin arriva ; je lui remis la consultation, et je ne me mêlai plus de rien.

Les natifs de Genève vinrent me trouver, il y a quelques jours, et me prièrent de leur faire un compliment qu’ils devaient présenter à messieurs les médiateurs ; je ne pus ni ne dus refuser cette légère complaisance à trente personnes qui me la demandaient en corps : un compliment n’est pas une affaire d’État. Ils revinrent après me communiquer une requête qu’ils voulaient donner à messieurs les plénipotentiaires ; je leur recommandai de ne choquer ni leurs supérieurs ni leurs égaux. Je n’ai eu aucune autre part aux divisions qui agitent la petite fourmilière. Je demeure à deux lieues de Genève ; j’achève mes jours dans la plus profonde retraite. Il ne m’appartient pas de dire mon avis, quand des plénipotentiaires doivent décider.

Soyez donc très-persuadé, mon protecteur, qu’à mon âge je

  1. Voyez les lettres 6165, 6186, 6191.