triste et la plus épineuse[1], et j’ai vu que je n’étais pas digne de vous écrire.
Vous me mandâtes, par votre dernière lettre, que nous étions assez d’accord tous deux sur ce qui n’est pas ; je me suis mis à rechercher ce qui est. C’est une terrible besogne ; mais la curiosité est la maladie de l’esprit humain. J’ai du moins la consolation de voir que tous les fabricateurs de systèmes n’en savaient pas plus que moi ; mais ils font tous les importants, et je ne veux pas l’être : j’avoue franchement mon ignorance.
Je trouve d’ailleurs dans cette recherche, quelque vaine qu’elle puisse être, un assez grand avantage. L’étude des choses qui sont si fort au-dessus de nous rend les intérêts de ce monde bien petits à nos yeux ; et, quand on a le plaisir de se perdre dans l’immensité, on ne se soucie guère de ce qui se passe dans les rues de Paris.
L’étude a cela de bon qu’elle nous fait vivre tout doucement avec nous-mêmes, qu’elle nous délivre du fardeau de notre oisiveté, et qu’elle nous empêche de courir hors de chez nous pour aller dire et écouter des riens d’un bout de la ville à l’autre. Aussi, au milieu de quatre-vingts lieues de montagnes de neige, assiégé par un très-rude hiver, et mes yeux me refusant le service, j’ai passé tout mon temps à méditer.
Ne méditez-vous pas aussi, madame ? Ne vous vient-il pas aussi quelquefois cent idées sur l’éternité du monde, sur la matière, sur la pensée, sur l’espace, sur l’infini ? Je suis tenté de croire qu’on pense à tout cela quand on n’a plus de passions, et que tout le monde est comme Matthieu Garo[2], qui recherche pourquoi les citrouilles ne viennent pas au haut des chênes.
Si vous ne passez pas votre temps à méditer quand vous êtes seule, je vous envoie un petit imprimé sur quelques sottises de ce monde[3], lequel m’est tombé entre les mains. Je ne sais s’il vous amusera beaucoup ; cela ne regarde que Jean-Jacques Rousseau, et des polissons de prêtres calvinistes.
L’auteur est un goguenard de Neuchâtel, et les plaisants de Neuchâtel pourront fort bien vous paraître insipides ; d’ailleurs on ne rit point du ridicule des gens qu’on ne connait point. Voilà pourquoi M. de Mazarin disait qu’il ne se moquait jamais que
- ↑ Probablement le Philosophe ignorant, qui, ne vit le jour que quelques mois après ; voyez tome XXVI, page 46.
- ↑ Fables de La Fontaine, livre IX, fable iv.
- ↑ La collection des Lettres sur les miracles : voyez tome XXV, pages 357 et suiv.