Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’était pas ainsi que pensaient Newton et Platon. Je me suis toujours rangé du parti de ces grands hommes. Ils adoraient un Dieu, et détestaient la superstition.

Je n’ai rien de commun avec les philosophes modernes que cette horreur pour le fanatisme intolérant ; horreur bien raisonnable, et qu’il est utile d’inspirer au genre humain pour la sûreté des princes, pour la tranquilité des États, et pour le bonheur des particuliers.

Voilà ce qui m’a lié avec des personnes de mérite, qui peut-être ont trop d’inflexibilité[1] dans l’esprit, qui se plient peu aux usages du monde, qui aiment mieux instruire que plaire, qui veulent se faire écouter, et qui dédaignent d’écouter ; mais ils rachètent ces défauts par de grandes connaissances et par de grandes vertus.

J’ai d’ailleurs des raisons particulières d’être attaché à quelques-uns d’entre eux, et une ancienne amitié est toujours respectable.

Mais soyez bien persuadée, madame, que de toutes les amitiés la vôtre m’est la plus chère. Je n’envisage point sans une extrême amertume la nécessité de mourir sans m’être entretenu quelques jours avec vous ; c’eût été ma plus chère consolation. Vos lettres y suppléent : je crois vous entendre quand je vous lis. Jamais personne n’a eu l’esprit plus vrai que vous. Votre âme se peint tout entière dans tout ce qui vous passe par la tête ; c’est la nature elle-même avec un esprit supérieur ; point d’art, point d’envie de se faire valoir, nul artifice, nul déguisement, nulle contrainte. Tout ce qui n’est pas dans ce caractère me glace et me révolte.

Je vous aime, madame, parce que j’aime le vrai : en un mot, je suis au désespoir de ne point passer quelques jours avec vous, avant de rendre ma chétive machine aux quatre éléments.

Vous ne m’avez point mandé si vous digérez. Tout le reste, en vérité, est bien peu de chose.

Faites-vous lire, madame, le rogaton[2] que je vous envoie, et ne le donnez à personne, car, quelque bon serviteur que je sois de Henri IV, je ne veux pas me brouiller avec sainte Geneviève.

  1. Voltaire veut parler de d’Alembert, qui n’était pas aimé de Mme du Deffant, et qui le lui rendait bien. (B.)
  2. Voyez les lettres 6215 et 6216.