Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai grande impatience que vous entreteniez notre docteur Tronchin. Dites-moi donc, je vous en prie, qui vous enverrez à votre place à Genève. Quel qu’il puisse être, Dieu m’est témoin combien je vous regretterai. On dit que c’est M. le chevalier de Beauteville[1] ; on ne pouvait, en ne vous nommant pas, faire un meilleur choix ; étant d’ailleurs ambassadeur en Suisse, il est presque sur les lieux, et doit connaître parfaitement le tripot de Genève. Respect et tendresse.


6248. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
27 janvier.

Je me jette à vos genoux, madame. Je vois par votre lettre du 6 janvier, qui ne m’est parvenue pourtant que le 18, que je vous avais alarmée. Comptez que je serais désespéré de vous causer la plus légère affliction. Vous sentez bien que, dans la situation où je suis, je ne dois donner aucune prise à la calomnie : vous savez qu’elle saisit les choses les plus innocentes pour les empoisonner.

Il y a des gens qui m’envient une retraite au milieu des rochers, qui n’auraient pitié ni de ma vieillesse, ni des maux qui l’accablent, et qui me persécuteraient au delà du tombeau ; mais je suis pleinement rassuré par votre lettre, et vous avez dû voir par ma dernière[2] avec quelle confiance je vous ouvre mon cœur. Ce cœur est plein de vous, il est continuellement sensible à votre état comme à votre mérite, il aime votre imagination et votre candeur, il vous sera attaché tant qu’il battra dans mon faible corps.

Vous et votre ami, vous pouvez avoir été convaincus par ma dernière lettre combien je suis éloigné de quelques philosophes modernes qui osent nier une intelligence suprême, productrice de tous les mondes. Je ne puis concevoir comment de si habiles Mathématiciens nient un mathématicien éternel.

  1. Pierre de Buisson, chevalier de Beauteville, mousquetaire en 1729, se trouvait à la bataille de Fontenoy en 1745, en qualité d’aide-maréchal général des logis de l’armée de Flandre ; fut, en 1758, nommé maréchal de camp, et en 1762, lieutenant général. Il avait été la même année nommé ambassadeur en Suisse, et fut, en 1766, médiateur au nom de la France, pour l’arrangement des affaires de Genève. Les médiateurs au nom du canton de Berne étaient Ouspourguer et Sinner ; ceux du canton de Zurich étaient Escher et Heidegger. (B.)
  2. La dernière lettre de Voltaire à Mme du Deffant était celle du 20 novembre 1765, n° 6158.