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6242. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[1].

Mon cher Esculape, il y a longtemps que je traîne ; j’ai été tenté cent fois de venir causer avec vous un matin, et de rire avec vous. Mais comme vous vous portez bien, j’espère que vous prendrez votre temps pour venir rire avec moi. C’est à vous qu’il appartient de rire aux dépens des sots et des fous ; mais je sens qu’au lieu de rire je pourrai bien pleurer, puisque ce sera la dernière fois que je vous verrai.

Je vous demande en grâce de présenter mes respects à M.  et à Mme  d’Harcourt et à Mme  de La Coré, quand vous irez adoucir par votre présence les maux qu’ils souffrent.


6243. — À MADAME LA MARQUISE DE FLORIAN.
22 janvier.

J’ai fini avec regret l’Histoire de Ferdinand et d’Isabelle[2]. Elle m’a fait un très-grand plaisir, et je ne doute pas qu’elle n’ait beaucoup de succès auprès de tous ceux qui préfèrent les choses utiles et vraies aux romanesques. Je fais mon compliment à l’auteur, et je m’enorgueillis de lui appartenir de si près. Si Isabelle revenait au monde, elle lui donnerait au moins un canonicat de Tolède ; mais si la petite Geneviève de Nanterre revenait, elle me traiterait fort mal. Dès que j’eus fait ces maudits vers[3], M.  Dupuits et Père Adam les portèrent à Genève sans m’en rien dire ; ils furent imprimés sur-le-champ dans la ville de Calvin ; ils l’ont été dans le quartier de Geneviève à Paris, et me voilà brouillé avec la sainte, avec tous les génovéfains, avec M. Soufflot, et peut-être avec les dévots de la cour ; mais c’est ma destinée. J’avais pourtant bonne intention. Je me suis laissé trop entraîner à mon zèle pour Henri IV. Il n’y a d’autre remède à cela que de faire pénitence, et de réciter l’oraison de sainte Geneviève pendant neuf jours.

Je ne me mêle en aucune façon du recueil qu’on fait à Lausanne des pièces concernant les Calas. Je n’aime point le titre d’Assassinat juridique, parce qu’un titre doit être simple, et non

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Histoire des rois catholiques Ferdinand et Isabelle, 1766, deux volumes in-12. L’auteur est l’abbé Mignot, frère de Mme  de Florian et neveu de Voltaire.
  3. Épître à Henri IV.