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quoi nous en tenir sur le personnage qui viendra ici, et dès que j’aurai fini la longue et plate relation de tout ce qui a passé par la tête de messieurs de Genève depuis huit jours, je me sauve à Ferney pour m’y consoler avec vous.

Ce soir, grand festin à l’hôtel de ville pour l’adieu de M. le comte d’Harcourt. On y boira à la prospérité de la république. Cela sera beau ; mais un petit souper sur les boulevards avec deux ou trois minois de Paris et quelque rieur sans prétention vaut bien toutes ces magnificences.

Votre froid ne veut pas finir ; je vous plains sincèrement ; car il y a bien loin d’ici aux beaux jours.


6239. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
20 janvier.

Voilà donc qui est fait ; j’aurai la douleur de mourir sans vous avoir vus ; vous me privez, mes cruels anges, de la plus grande consolation que j’aurais pu recevoir. Je ne vous alléguerai plus de raisons, vous n’entendrez de moi que des regrets et des gémissements. Quel que soit le ministre médiateur que M. le duc de Praslin nous envoie, il sera reçu avec respect, et il dictera des lois. Si je pouvais espérer quelques années de vie, je m’intéresserais beaucoup au sort de Genève. Une partie de mon bien est dans cette ville, les terres que je possède touchent son territoire, et j’ai des vassaux sur son territoire même.

Il est d’ailleurs bien à désirer qu’un arrangement projeté avec les fermes générales réussisse ; qu’on transporte ailleurs les barrières et les commis qui rendent ce petit pays de Genève ennemi du nôtre ; qu’on favorise les Genevois dans notre province, autant que le roi de Sardaigne les a vexés en Savoie ; qu’ils puissent acquérir chez nous des domaines, en payant un droit annuel équivalent à la taille, ou même plus fort, sans avoir le nom humiliant de la taille. Le roi y gagnerait des sujets ; le prodigieux argent que les Genevois ont gagné sur nous refluerait en France en partie ; nos terres vaudraient le double de ce qu’elles valent. Je me flatte que M. le duc de Praslin voudra bien concourir à un dessein si avantageux. Je ne me repentirais pas alors de m’être presque ruiné à bâtir un château dans ces déserts.

Je ne saurais finir sans vous dire encore que je n’ai aucune part aux plaisanteries de M. Baudinet et de M. Montmolin. Soyez sûr d’ailleurs que, s’il y a encore des cuistres du xvie siècle dans ce pays-ci, il y a beaucoup de gens du siècle présent ; ils ont l’esprit juste, profond, et quelquefois très-délicat.