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qui n’aimait pas les sermons. Laissons tous les hommes suivre leur sens commun ; il est pour chacun d’eux leur loi et leur prophète.

À l’égard de vos philosophes modernes, jamais il n’y a eu d’hommes moins philosophes et moins tolérants : ils écraseraient tous ceux qui ne se prosternent pas devant eux ; j’ai, a mes dépens, appris à les connaître ; que je sois, je vous prie, à tout jamais à l’abri de leurs tracasseries auprès de vous. Votre correspondance m’honore infiniment, mais je n’ai pas la vanité d’en faire trophée ; ils n’ont nulle connaissance de ce que vous m’écrivez. La lettre sur Moncrif n’est devenue publique que par eux, dont l’un d’eux[1] l’avait retenue pour lavoir entendu lire une seule fois ; cette conduite, qui prouve la sévérité de leur morale, m’a appris à les connaître et à ne m’y jamais confier.

Le président a été fort content de votre lettre, mais il voit par ses lunettes, il ne veut point en changer. Je suis bien sûre qu’il fait cas des vôtres, il s’en servait autrefois ; sa vue n’est pas baissée, mais enfin il veut s’en tenir aux lunettes qu’il a prises aujourd’hui ; il vous estime, il vous honore, il vous aime ; nous sommes parfaitement d’accord dans cette façon de penser et de sentir ; nous voudrions bien souvent vous avoir en tiers ; un quart d’heure de conversation avec vous nous paraîtrait d’une bien plus grande valeur que toute l’Encyclopédie.

Adieu, monsieur, soyez persuadé de ma tendre amitié ; elle est plus tendre et plus sincère que celle de vos académiciens et de vos philosophes.


6324. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
15 janvier.

Oui, mes divins anges, il faut absolument que vous veniez, sans quoi je prends tout net le parti de mourir.

M. Hennin vous logera très-bien à la ville, et nous aurons le bonheur de vous posséder à la campagne. Je vous avertis que tout le tripot de Genève, et les députés de Zurich et de Berne, désirent un homme de votre caractère. Il y avait eu bien des coups de fusil de tirés, et quelques hommes de tués, en 1737, lorsqu’on envoya un lieutenant général des armées du roi ; mais aujourd’hui il ne s’agit que d’expliquer quelques lois, et de ramener la confiance. Personne assurément n’y est plus propre que vous.

Je sens combien il vous en coûterait de vous séparer longtemps de M. le duc de Praslin ; mais vous viendrez dans les beaux jours, et pour un mois ou six semaines tout au plus. M. Hennin vous enverra tout le procès à juger, avec son avis et celui des médiateurs suisses. Ce sera encore un grand avantage

  1. Turgot.