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L’état où je suis me permet à peine de dicter dans la mienne. La vieillesse et les maladies qui m’accablent m’empêchent de vous témoigner de ma main ma sensibilité, mais ne la diminuent pas. Je ne suis pas juge de votre mérite, mais je me flatte de le sentir. Les grâces sont de tous les pays, celles de votre style ne m’échappent pas.

Vous avez ce que Pétrone aime tant dans Horace : curiosam felicitatem.

Agréez les sentiments bien véritables de la respectueuse reconnaissance avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire,
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.

6226. — À M.  L’ABBÉ CESAROTTI[1].
À Ferney, 10 janvier.

Monsieur, je fus bien agréablement surpris de recevoir ces jours passés la belle traduction que vous avez daigné faire de la Mort de César et de la tragédie de Mahomet.

Les maladies qui me tourmentent, et la perte de la vue dont je suis menacé, ont cédé à l’empressement de vous lire. J’ai trouvé dans votre style tant de force et tant de naturel que j’ai cru n’être que votre faible traducteur, et que je vous ai cru l’auteur de l’original. Mais plus je vous ai lu, plus j’ai senti que, si vous aviez fait ces pièces, vous les auriez faites bien mieux que moi, et vous auriez bien biens plus mérité d’être traduit. Je vois, en vous lisant, la supériorité que la langue italienne a sur la nôtre. Elle dit tout ce qu’elle veut, et la langue française ne dit que ce qu’elle peut. Votre Discours sur la tragédie, monsieur, est digne de vos beaux vers ; il est aussi judicieux que votre poésie est séduisante. Il me paraît que vous découvrez d’une main bien habile tous les ressorts du cœur humain ; et je ne doute pas que, si vous avez fait des tragédies, elles ne doivent servir d’exemples comme vos raisonnements servent de préceptes. Quand on a si bien montré les chemins, on y marche sans s’égarer. Je suis persuadé que les Italiens seraient nos maîtres dans l’art du théâtre

  1. Melchior Cesarotti, né à Padoue en 1730, mort, en 1808, venait de publier il Cesare e il Maometto, tragédie del signor di Voltaire, trasportate in versi italiani con alcuni ragionamenti del traduttore ; Venezia, presso Giambatista Pasquali, 1766, in-8o.