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tice, ingratitude, ridicule, le tout au premier degré, à refuser une modique pension[1], patrimoine d’académie ; et à qui ? à celui qui a refusé cent mille livres d’appointements, pour continuer à faire honneur à sa patrie. Je ne crois pas que vous soyez éconduit. Les hommes ont encore un petit reste de pudeur. Vous voyez qu’on ne donne point votre pension à d’autres ; on vous fait donc seulement attendre : on veut peut-être que vous fassiez quelque démarche. Je vous demande en grâce de me mander où vous en êtes. Ayez la honte de donner votre lettre à M. de Villette ; c’est un de nos plus aimables frères, ami éclairé de la bonne cause, et sentant tout votre mérite. C’en serait trop, mon cher philosophe, si les sages avaient contre eux les prêtres et les ministres. Nous avons besoin des hommes d’État pour nous défendre contre les hommes de Dieu. Je ne vous dis pas cela en l’air ; il y a du temps que j’ai de très-bonnes raisons de penser ainsi. Mandez-moi, je vous prie, tout ce que vous avez sur le cœur, attendu que le mien est à vous. Recommandez-moi aux prières de nos frères, Ècr. l’inf…


6049. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Alby, ce 24 juin.

Je ne voulais vous répondre, mon cher confrère, qu’on vous envoyant ce que vous m’avez demandé : je n’ai pu encore y réussir. Le marquis de Créqui prétend qu’il sera plus heureux que moi ; cela doit être, il est plus jeune. Vous avez beau être profane, je vous aime toujours, et je me réserve pour votre conversion. Je ne veux pas croire, comme la plupart de mes confrères, que votre projet soit de bannir la religion de la surface de la terre : vous avez toujours été l’ennemi du fanatisme, et vous pensez sûrement que si le fanatisme qui s’arme en faveur de la religion est dangereux, celui qui s’élève pour la détruire n’est pas moins funeste.

Quand on vous a mandé que je m’occupais ici à rendre heureuses deux cent mille ouailles dont mon bercail est composé, on vous a dit la vérité. Cette occupation me satisfait plus que le ministère, où je n’avais que des intentions et point de moyens. L’homme n’est heureux que par le bien qu’il fait aux autres. Je sais que vous prêchez cette morale par vos leçons et par vos exemples ; aussi avez-vous recouvré la vue ; aussi le ciel vous accorde-t-il une longue vie, malgré la faiblesse de vos organes et l’immensité de vos travaux. Faites donc des heureux encore ; répandez vos rayons sur un siècle qui décline : aimez-moi toujours, quoique archevêque, et ne passez pas un an sans m’écrire. Vous savez que je vous admire ; mais peut--

  1. Celle qu’avait Clairaut ; voyez lettre 6029.