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vous ai faite, et dont je vous avertis, afin que vous puissiez parer les coups que je vous porte, s’il vous en prend envie.

Si quelque jour vous faites l’honneur au vieux solitaire de venir dîner dans sa retraite, je vous promets moins de monde. Vous verrez des cœurs français aussi enchantés de vous pour le moins que les cœurs genevois, et beaucoup plus sensibles.

Mille respects. V.


6196. — DE M. HENNIN[1].
Genève, le 22 décembre 1765.

J’ai fait usage, monsieur, du mémoire que vous avez eu la bonté de me remettre. Il entrera dans le nombre des pièces de ce malheureux procès.

Votre amitié et le désir de voir finir promptement les troubles de Genève vous ont persuadé, monsieur, que je serais propre à jouer ici le rôle de médiateur. Bien des motifs m’ont fait craindre qu’on ne jetât les yeux sur moi pour cette fonction. D’abord la première médiation fut confiée à un homme de qualité, et les républicains ne tiennent pas moins que les autres aux distinctions. En second lieu, destiné à vivre dans cette ville au delà du terme de la médiation, pourquoi voulez-vous que je reste chargé du mécontentement d’un parti, et peut-être de tous les deux. Le service du roi en pourrait souffrir, et ma position en deviendrait certainement moins douce. J’avais prévenu M. le duc de Praslin à ce sujet ; je lui ai depuis renouvelé par écrit mon éloignement pour cette dignité, dont je me croirais d’ailleurs très-honoré. Qu’il vienne au plus tot ici un homme de considération de la part du roi ; je m’estimerai heureux de le seconder, et, quel que soit l’événement, je n’aurai plus à penser qu’à vivre agréablement dans cette retraite politique.

Dès que la nécessité de veiller à ce qui peut me convenir des effets de M. de Montpéroux ne me retiendra plus ici, j’espère, monsieur, que vous ne vous plaindrez pas de ma négligence à cultiver un voisin tel que vous. Je ne suis pas homme à laisser échapper un des plus grands avantages de ma résidence celui de pouvoir quelquefois profiter de votre loisir, et vivre en toute bonhomie avec un des bienfaiteurs de l’humanité.

C’est pour la dernière fois, monsieur, que Je finirai mes billets comme une lettre, et je vous serai très-obligé d’en agir de même avec moi. Désormais je commencerai par Je vous disais donc, et vous laisserai suppléer à la fin les expressions de respect et de dévouement avec lesquels, etc.

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.