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Buvez avec les sages à la santé du solitaire, qui vous aimera jusqu’au dernier moment de sa vie.


6176. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
4 décembre.

Je vous crois actuellement, monsieur, en train d’être grand-père, car je m’imagine qu’on ne perd pas son temps dans votre beau climat. Notre petite Dupuits a perdu le sien : elle s’est avisée d’accoucher avant sept mois d’un petit drôle gros comme le pouce, qui a vécu environ deux heures. On était fort en peine de savoir s’il avait l’honneur de posséder une âme : père Adam, qui doit s’y connaître, et qui ne s’y connaît guère, n’était pas là pour décider la question ; une fille l’a baptisé à tout hasard, après quoi il est allé tout droit en paradis, où votre archevêque d’Auch[1] prétend que je n’irai jamais. Mais il devrait savoir que ce sont les calomniateurs qui en sont exclus, et que la porte est ouverte aux calomniés qui pardonnent et qui font du bien.

Permettez-moi de présenter mes respects à toute votre famille présente et à venir. Tout Ferney vous fait les plus sincères compliments.


6177. — À M. SAURIN.
4 décembre.

Je soupçonne, monsieur, qu’il en est à peu près aujourd’hui comme de mon temps. Il y avait tout au plus aux premières représentations une centaine de gens raisonnables ; c’est pour ceux-là que vous avez écrit. Votre pièce est remplie de traits qui valent mieux à mon gré que bien des pièces nouvelles qui ont eu de grands succès. On y voit à tout moment l’empreinte d’un esprit supérieur, et vous ne ferez jamais rien qui ne vous fasse beaucoup d’honneur auprès des sages.

Il me paraît que madame votre femme est de ce nombre, puisqu’elle sent votre mérite et qu’elle vous rend heureux ; c’est une preuve qu’elle l’est aussi. Je vous en fais à tous deux mes très-tendres compliments.

Quant aux Anglais, je ne peux vous savoir mauvais gré de vous être un peu moqué de Gilles Shakespeare[2]. C’était un sau-

  1. Dans un Mandement de 1764 ; voyez tome XXV, page 469.
  2. Dans la préface de son Orpheline léguée, Saurin parlait des monstrueuses absurdités des pièces de Shakespeare.