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mettre jamais au service de personne, et de mourir libre comme j’ai vécu. On dit que Rousseau va à Potsdam[1] : je ne sais si la société du roi de Prusse sera de son goût ; j’en doute, d’autant plus qu’il s’en faut de beaucoup que ce prince soit enthousiaste de ses ouvrages. Quant à moi, tout ce que je désirerais, ce serait d’être assez riche pour pouvoir me retirer dans une campagne, où je me livrerais en liberté à mon goût pour l’étude, qui est plus grand que jamais. L’affaiblissement de ma santé, les visites à rendre et à recevoir, la sujétion des académies auxquelles malheureusement ma subsistance est attachée, me rendent la vie de Paris insupportable. Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que je ne vois nul moyen de parvenir à cet heureux état ; il mettrait le comble à mon indépendance, pour laquelle j’ai plus de fureur que jamais. J’ai fait un supplément[2] à la Destruction des jésuites, où les Jansénistes, les seuls ennemis qui nous restent, sont traités connue ils le méritent ; mais je ne sais ni quand, ni où, ni comment je dois le donner. Je voudrais bien servir la raison, mais je désire encore plus d’être tranquille. Les hommes ne valent pas la peine qu’on prend pour les éclairer ; et ceux même qui pensent comme nous nous persécutent. Adieu, mon cher maître ; je vous embrasse de tout mon cœur.


6161. — À M.  DAMILAVILLE.
25 novembre.

Votre mal de gorge et votre amaigrissement me déplaisent beaucoup ; vous savez si je m’intéresse à votre bien-être et à votre long être. Notre Esculape-Tronchin ne guérit pas tout le monde : Mme  la duchesse d’Enville pourra bien rester tout l’hiver à Genève. Quoi qu’il fasse, mon cher ami, la nature en saura toujours plus que la médecine. La philosophie apprend à se soumettre à l’une et à se passer de l’autre ; c’est le parti que j’ai pris.

Cette philosophie, contre laquelle on se révolte si injustement, peut faire beaucoup de bien, et ne fait aucun mal. Si elle avait été écoutée, les parlements n’auraient pas tant harcelé le roi et tant outragé les ministres. L’esprit de corps et la philosophie ne vont guère ensemble. Je crains que l’archevêque de Novogorod[3], dont vous me parlez, ne puisse les soutenir dans la seule chose où ils paraissent avoir raison, et qu’après avoir combattu mal à propos l’autorité royale sur des afaires de finance et de forme, ils ne finissent par succomber quand ils soutiennent cette même autorité contre quelques entreprises du clergé.

  1. Il n’y alla pas.
  2. C’est la Lettre à M***, etc. ; voyez la note, tome XLIII, page 473.
  3. C’est sous le nom d’Alexis, archevêque de Novngorod, que Voltaire avait publié un petit écrit intitulé Mandement, etc. ; voyez tome XXV, page 345.