Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

masures helvétiques. Vous m’avez envoyé l’épître de M. Delille[1], mais souvenez-vous que c’est en attendant votre Virginie.


Nardi parvus onyx eliciet cadum.

(Hor., lib. IV, od. xii, v. 17.)

On fait de beaux vers à présent, on a de l’esprit et des connaissances : mais il est bien rare de faire des vers qui se retiennent et qui restent dans la mémoire, malgré qu’on en ait. Il règne, dans presque tous les ouvrages de ce temps-ci, une abondance d’idées incohérentes qui étouffent le sujet ; et quand on les a lus, il semble qu’on ait fait un rêve : on se souvient seulement que l’auteur a de l’esprit, et on oublie son ouvrage.

M. Delille n’est pas dans ce cas ; il pense d’ailleurs en philosophe, et il écrit en poète ; je vous prie de le remercier de la double bonté qu’il a eue de m’envoyer son ouvrage, et de me l’envoyer par vous. Je lui sais bon gré d’avoir loué Catherine. Elle m’a fait l’honneur de me mander[2] qu’elle venait de chasser tous les capucins de la Russie ; elle dit qu’Abraham Chaumeix est devenu tolérant, mais qu’il ne deviendra jamais un homme d’esprit. Elle en a beaucoup, et elle perfectionne tout ce que cet illustre barbare Pierre Ier a créé. Je suis persuadé que dans six mois on ira des bouts de l’Europe voir son carrousel : les arts et les plaisirs nobles sont bien étonnés de se trouver à l’embouchure du lac Ladoga.

Adieu, monsieur ; vivez gaiement sur les bords de la Seine, et faites-y applaudir Virginie. Je soupçonne son histoire d’être fort romanesque : elle n’en sera pas moins intéressante. Personne ne prendra plus de part à vos succès que votre très-humble, très-obéissant serviteur et confrère.


6153. — À M. TRONCHIN-CALENDRIN,
conseiller d’état de la république de genève.
13 novembre.

Immédiatement après avoir lu, monsieur, le nouveau livre en faveur des représentants[3], la première chose que je fais est

  1. Épître sur les Voyages, qui a remporté le prix de l’académie de Marseille, 1765, in-4o.
  2. Voyez lettre 6089.
  3. Voyez le titre dans une note de la page 109.