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6139. — À M.  DE LA HARPE.
19 octobre.

J’avoue qu’il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites de la belle réception qu’on fit à cette Adélaïde du Guesclin, longtemps avant que vous fussiez né. On ne réussit dans ce monde qu’à la pointe de l’épée ; le plaisant de l’affaire, c’est qu’il n’y a pas un mot de changé dans la pièce autrefois sifflée et aujourd’hui applaudie. Ces exemples doivent consoler[1] la jeunesse. Songez que si vous travaillez pour des Français, vous travaillez aussi pour des Welches, qui ont approuvé une Électre[2] amoureuse d’un Itys, qui ont préféré la Phèdre de Pradon à celle de Racine, et qui ont méprisé Athalie pendant trente ans. C’est bien pis dans les provinces, où les présidents des élections et les échevins jugent d’un ouvrage par les feuilles de Fréron. Heureusement vous avez autant de courage que de génie. Quelqu’un a dit que la gloire réside au haut d’une montagne ; les aigles y volent, et les reptiles s’y traînent. Vous avez pris un vol d’aigle dans Warwick, et vos ailes sont bonnes.

Je vous embrasse de tout mon cœur. Mme  Denis vous fait mille compliments.


6140. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
26 octobre.

Je vous obéis toujours ponctuellement, mon divin ange ; mais c’est quand je le peux. Votre dernière lettre du 19 octobre, qui, par parenthèse, est charmante, me remontre mon devoir sur deux ou trois points d’Adelaïde. Vous verrez, par la feuille suivante[3], que mon devoir est rempli, bien ou mal.

Les quatre vers que vous regrettez, et qui commencent :


Il faut à son ami montrer son injustice[4],

  1. La tragédie de Pharamond, par La Harpe, jouée le 14 août 1765, n’avait point eu de succès.
  2. Dans l’Électre de Crébillon ; voyez tome XXIV, pape 349.
  3. Un feuillet contenant des corrections, et joint à la lettre.
  4. Ce vers est dans le Duc de Foix, acte II, scène iv ; mais il n’est pas dans la version actuelle d’Adélaïde, ni dans les variantes ; on lit aujourd’hui, acte IV, scène v (voyez tome III, page 126) :

    Quand un ami se perd il faut qu’on l’avertisse, etc.