Mon cher philosophe, vous ne me dites point si vous avez reçu la Tolérance. Je ne sais plus où j’en suis. On a arrêté à la poste consécutivement deux exemplaires de cet ouvrage, que les Cramer envoyaient à M. de Trudaine et à M. de Montigny, son fils. Comment accorder cette rigueur avec l’approbation que Mme de Pompadour et plus d’un ministre d’État ont donnée à ce petit livret, qui est si honnête ? Deux paquets adressés à M. Damilaville sont restés entre les griffes des vautours. Il faut que le vôtre n’ait point échappé à leur barbarie, puisque je n’ai aucune nouvelle de vous : tout cela m’embarrasse. Je vois qu’on ne tolère ni la Tolérance ni les tolérants. On a beau se contraindre, dans des matières si délicates, jusqu’au point d’être sage, les fanatiques vous trouvent toujours trop hardi ; et peut-être dans ce moment-ci où les finances mettent tous les esprits en fermentation, on ne veut pas qu’ils s’échauffent sur d’autres objets.
On parlait d’un mandement de votre archevêque, que le roi a fait, dit-on, supprimer amicalement : ce mandement[1] n’était pourtant pas tolérant. De quelque côté que vous vous tourniez à Paris, vous avez de quoi exercer votre philosophie. Vous vous contentez de rire des sottises des hommes ; ils ne méritent pas que vous les éclairiez : cependant il est toujours bon de couper de temps en temps quelques têtes de l’hydre, dussent-elles renaître. Ce monstre, en se souvenant du couteau, en est moins insolent ; il voit que vous tenez la massue prête à l’écraser, et il tremble.
J’ai été si dégoûté depuis peu de ce qu’on appelle les choses sérieuses que je me suis mis à faire des contes de ma mère l’oie[2]. J’en suis un peu honteux à mon âge ; mais ce qui convient à tous les âges, c’est de vous aimer et de vous admirer[3].
- ↑ Voyez la note 4, page 66.
- ↑ Il désigne ainsi ses contes en vers, qu’il recueillit quelque temps après, et publia sous le titre de Contes de Guillaume Vadé.
- ↑ Deux lettres de la comtesse d’Argental à Voltaire sont signalées dans un catalogue d’autographes comme étant de la fin de 1763 ou du commencement de 1764. Voici les indications données par l’auteur du catalogue :
1° L. aut. ; 3 p. in-4o.
Curieuse épitre contenant des critiques sur sa tragédie d’Olympie (qui fut jouée le 17 mars 1764). Elle est d’autant plus curieuse qu’elle porte en marge les Réponses autographes et trés-développées de Voltaire à la comtesse. Voltaire ne se rend pas aux raisons de ses anges,