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contre un parlement, que le roi lui ait donné trente-six mille livres[1], et qu’elle ait la permission de prendre un parlement à partie ? On a imprimé à Paris une lettre que j’avais écrite à un de mes amis, nommé Damilaville[2] ; on y trouve un fait singulier qui vous attendrirait, si vous pouviez avoir cette lettre.

En voilà, madame, une un peu longue, écrite toute de ma main : il y a longtemps que je n’en ai tant fait ; je crois que vous me rajeunissez.

Je tâcherai de vous faire parvenir tout ce que je pourrai par des voies indirectes. Quand vous aurez quelques ordres à me donner, ayez la bonté de faire adresser la lettre à M. Wagnière, chez M. Souchai, négociant à Genève ; et ne faites point cacheter avec vos armes. Avec ces précautions, l’on dit ce que l’on veut ; et c’est un grand plaisir, à mon gré, de dire ce qu’on pense.

Adieu, madame ; je suis honteux d’avoir recouvré un peu la vue pour quelques mois, pendant que vous en êtes privée pour toujours. Vous avez besoin d’un grand courage dans le meilleur des mondes possibles. Que ne puis-je servir à vous consoler !


5999. — À M. DAMILAVILLE.
24 avril.

En réponse à votre lettre du 18, mon cher frère, j’embrasse tendrement Platon-Diderot. Par ma foi, j’embrasse aussi l’impératrice de toute Russie. Aurait-on soupçonné, il y a cinquante ans, qu’un jour les Scythes récompenseraient si noblement dans Paris la vertu, la science, la philosophie, si indignement traitées parmi nous ? Illustre Diderot, recevez les transports de ma joie[3].

Je ne peux faire la moindre attention aux tracasseries de la Comédie : cela peut amuser Paris ; pour moi, je suis rempli d’autres idées : la générosité russe, la justice rendue aux Calas, celle qu’on va rendre aux Sirven, saisissent toutes les puissances de mon âme. On travaille à force à la condamnation[4] du cuistre

  1. Voyez lettre 5990.
  2. Celle du 1er mars, n° 5929.
  3. L’impératrice (Catherine II avait envoyé seize mille francs à Diderot, dont quinze mille francs pour prix de sa bibliothèque, dont elle lui laissait la jouissance pendant sa vie, et mille francs pour première année d’une rente viagère ou traitement comme conservateur de cette bibliothèque.
  4. C’est-à-dire à l’impression des Observations de l’abbé Morellet, dont on peut voir l’intitulé page 525.