Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suis attaché. J’ai eu le bonheur de le voir assez longtemps, et je l’aimerai toute ma vie. J’ai encore une bonne raison de l’aimer, c’est qu’il a à peu près la même maladie qui m’a toujours tourmenté : les conformités plaisent.

Voici le temps où je vais en avoir une bien forte avec vous : des fluxions horribles m’ôtent la vue dès que la neige est sur nos montagnes ; ces fluxions ne diminuent qu’au printemps, mais à la fin le printemps perd de son influence, et l’hiver augmente la sienne. Sain ou malade, clairvoyant ou aveugle, j’aurai toujours, madame, un cœur qui sera à vous, soyez-en bien sûre. Je ne regarde la vie que comme un songe ; mais, de toutes les idées flatteuses qui peuvent nous bercer dans ce rêve d’un moment, comptez que l’idée de votre mérite, de votre belle imagination, et de la vérité de votre caractère, est ce qui fait sur moi le plus d’impression. J’aurai pour vous la plus respectueuse amitié jusqu’à l’instant où l’on s’endort véritablement pour n’avoir plus d’idées du tout.

Ne dites point, je vous prie, que je vous aie envoyé aucun imprimé.


5968. — À M. DE BELLOY.
Au château de Ferney, 31 mars.

À peine je l’ai lue, mon cher confrère, que je vous en remercie du fond de mon cœur. Je suis tout plein du retour d’Eustache de Saint-Pierre, et des beaux vers que je viens de lire :


Vous me forcez, seigneur, d’être plus grand que vous[1].


Et celui-ci, que je citerai souvent :


Plus je vis l’étranger, plus j’aimai ma patrie[2].


Que vous dirai-je, mon cher confrère ? Votre pièce fait aimer la France et votre personne. Voilà un genre nouveau dont vous serez le père ; on en avait besoin, et je suis vivement persuadé que vous rendez service à la nation.

Recevez, encore une fois, mes tendres remerciements.

  1. Siège de Calais, acte {{rom-maj|V|5}=, scène ii.
  2. Ibid., acte II, scène iii.