Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

… Fragili quærens illidere dentem,
Offendet solido.

(Hor., lib. II, sat. i.)


Enfin nous verrons ; s’ils avalent ce crapaud, je leur servirai d’une couleuvre ; elle est toute prête[1] : je ferai seulement la sauce plus ou moins piquante, selon que je les verrai plus ou moins en appétit. Je respecterai toujours, comme de raison, la religion, le gouvernement, et même les ministres ; mais je ne ferai point de quartier à toutes les autres sottises, et assurément j’aurai de quoi parler.

On dit que vous avez renoncé aux Délices, et que vous n’habitez plus le territoire de la parvulissime. Je vous conseillerais cependant, attendu les pédants à grands rabats, qui deviennent de jour en jour plus insolents et plus sots, de conserver toujours un pied à terre chez nos bons amis les Suisses.

Fréron a pensé aller au For-l’Évêque, ou Four-l’Évêque[2], pour avoir insulté grossièrement, à son ordinaire, Mlle  Clairon : elle s’en est plainte, mais le roi son compère[3] et la reine ont intercédé pour ce maraud, qui est toujours cependant aux arrêts chez lui sous la verge de la police. Il est bien honteux qu’un pareil coquin trouve des protections respectables ; en vérité


On ne peut s’empêcher d’en pleurer et d’en rire[4].


Puisque les choses sont ainsi, je prétends, moi, avoir aussi mon franc-parler, et, à l’exception des choses et des personnes auxquelles je dois respect, je dirai mon avis sur le reste. Avez-vous entendu parler d’une tragédie du Siège de Calais, qu’on joue actuellement avec grand succès ? Comme cette pièce est pleine de patriotisme, on dit, pour rendre les philosophes odieux, qu’ils sont déchaînés contre elle. Rien n’est plus faux ; mais cela se dit toujours, pour servir ce que de raison. Quelle pauvre espèce que le genre humain ! Adieu, mon cher maître ; moquez-vous toujours de tout, car il n’y a que cela de bon.


5929. — À M.  DAMILAVILLE[5].
Au château de Ferney, 1er mars.

J’ai dévoré, mon cher ami, le nouveau Mémoire de M. de Beaumont sur l’innocence des Calas ; je l’ai admiré, j’ai répandu

  1. D’Alembert ne publia qu’en 1767 la Lettre à M***, conseiller au parlement de ***, pour servir de supplément à l’ouvrage qui est dédié à ce même magistrat, et qui a pour titre : Sur la Destruction des jésuites en France, par un auteur désintéressé ; mais cette Lettre était faite dès 1765.
  2. Il n’y alla pas ; voyez la Correspondance de Grimm aux 25 février et 1er mars 1765.
  3. Le roi Stanislas était le parrain du fils de Fréron. (K.)
  4. Regnard, Folies amoureuses, acte II, scène vi.
  5. Cette lettre, imprimée séparément sous le titre de Lettre de M. de Vol… à