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échauffés ; on disputera, mais il n’y aura point de guerre civile.

Je crois que j’ai très-bien pris mon temps pour me tirer de la cohue, et pour me défaire des Délices, d’autant plus que mon bail était fini, et que je ne l’avais pas renouvelé. Un M. Labat, qui avait dressé les articles du contrat, me faisait quelques difficultés, comme vous l’avez pu voir. Ces difficultés ont dû vous paraître extraordinaires, aussi bien que le contrat même. On ne ferait pas de tels marchés en France ; celui-là est plus juif que calviniste.

Je me flatte que tout s’accommodera à l’amiable, et beaucoup plus facilement que les affaires de Genève. MM. Tronchin, qui sont mes amis, m’y aideront ; mais je serai toujours bien aise d’avoir le sentiment de M. Élie de Beaumont au bas de mes questions. J’attends avec impatience son mémoire pour les Calas. Voilà un véritable philosophe ; il venge l’innocence opprimée, il n’écrit point contre la comédie, il n’a point un orgueil révoltant, il n’est point le délateur de ceux dont il a dû être l’ami et le défenseur. Le cœur me saigne de deux grandes plaies : la première, que Rousseau soit fou ; la seconde, que nos philosophes de Paris soient tièdes. Dieu merci, vous ne l’êtes pas. Vous m’avez glissé deux lignes, dans votre lettre du 12 de février, qui font la consolation de ma vie.

Je soupçonne que le paquet de Franche-Comté est tombé entre les mains des barbares ; il faut mettre cette petite tribulation aux pieds du crucifix. Je me recommande à vos saintes prières. J’entre aujourd’hui dans ma soixante-douzième année, car je suis né en 1694, le 20 de février, et non le 20 de novembre, comme le disent les commentateurs mal instruits[1]. Me persécuterait-on encore dans ce monde, à mon âge ? Cela serait bien welche. Je me flatte au moins qu’on ne me fera pas grand mal dans l’autre.

Adieu, mon cher frère ; je vous embrasse bien tendrement.


5921. — À M.  COLINI.
À Ferney, 20 février.

Mon cher ami, j’entre aujourd’hui dans ma soixante-douzième année, en dépit de mes estampes, qui me donnent quelques

  1. Il ne faut attacher aucune importance à cette déclaration. Voltaire, une autre fois, dira le contraire. (G. A.)