Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il court en faire autant à Genève, et de là il revient chez moi se reposer des fatigues qu’il a essuyées avec des huguenotes.

J’aurai l’honneur de vous dire que je suis si dégoûté des tripots que je me suis défait du mien. J’ai démoli mon théâtre, j’en fais des chambres à coucher et à repasser le linge. Je me suis trouvé si vieux que je renonce aux vanités du monde. Il ne me manque plus que de me faire dévot pour mourir avec toutes les bienséances possibles. J’ai chez moi, comme vous savez, je pense, un jésuite[1] à qui on a ôté ses pouvoirs dès qu’on a su qu’il était dans mon profane taudis. Son évêque savoyard[2] est un homme bien malavisé, car il risque de me faire mourir sans confession, malheur dont je ne me consolerais jamais. En attendant, je me prosterne devant vous.


5889. — À M.  DE MAIRAN.
À Ferney, 21 janvier.

Il faut, monsieur, que vous ayez eu la bonté de m’envoyer, il y a six mois, votre horoscope d’Auguste, car M. Thieriot me l’a fait tenir depuis huit jours. Souffrez que je vous remercie en droiture ; si je m’adressais à lui, ma lettre ne vous parviendrait qu’en 1766. J’aurais, si je voulais, un peu de vanité, car j’ai toujours été de votre avis sur tout ce que vous avez écrit. Souvenez-vous, je vous prie, de la dispute sur la masse multipliée par le carré de la vitesse. Je soutins votre opinion[3] contre la mauvaise foi de Maupertuis, qui avait séduit Mme  du Châtelet. Vous m’avez éclairé de même sur plusieurs points de physique. Je vous trouve partout aussi exact qu’ingénieux. Il n’y a que les Égyptiens sur lesquels je ne me suis pas rendu. J’aime tant les Chinois et Confucius que je ne peux croire qu’ils tiennent rien du peuple frivole et superstitieux d’Égypte.

De toutes les anciennes nations, l’Égyptienne me paraît la plus nouvelle ; il me semble impossible que l’Égypte, inondée tous les ans par le Nil, ait pu être un peu florissante avant qu’on eût employé dix ou douze siècles à préparer le terrain. La plupart des régions de l’Asie, au contraire, se prêtaient naturellement à tous les besoins des hommes. Le pays le plus aisément cultivable est toujours le premier habité. Les pyramides sont fort anciennes

  1. Le Père Adam.
  2. Biord, évêque d’Annecy.
  3. Voyez tome XXIII, page 165.