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souflé d’orgueil, fut piqué de mon silence. Il manda au docteur Tronchin qu’il ne reviendrait jamais dans Genève tant que je serais possesseur des Délices ; et, huit jours après, il se brouilla avec Tronchin pour jamais.

À peine arrivé dans sa montagne, il fait un livre qui met le trouble dans sa patrie ; il excite les citoyens contre le magistrat ; il se plaint, dans ce livre, qu’on l’a condamné sans l’entendre ; il m’y donne formellement comme l’auteur du Sermon des Cinquante[1] ; il joue le rôle de délateur et de calomniateur : voilà, je vous avoue, un plaisant philosophe ; il est comme les diables dans Quinault :


Goûtons l’unique bien des cœurs infottunés,
Goûtons Ne soyons pas seuls misérables.

(Thésée acte III, scène vii.)

Et savez-vous dans quel temps ce malheureux faisait ces belles manœuvres ? C’était lorsque je prenais vivement son parti, au hasard même de passer pour mauvais chrétien ; c’était en disant aux magistrats de Genève, quand par hasard je les voyais, qu’ils avaient fait une vilaine action en brûlant Émile et en décrétant Jean-Jacques ; mais le babouin, m’ayant offensé, s’imaginait que je devais le haïr, et écrivait partout que je le persécutais, dans le temps que je le servais et que j’étais persécuté moi-même.

Tout cela est d’un prodigieux ridicule, ainsi que la plupart des choses de ce monde ; mais je pardonne tout, pourvu que l’infâme soit décriée comme il faut chez les honnêtes gens, et qu’elle soit abandonnée aux laquais et aux servantes, comme de raison.

Je croyais vous avoir mandé que l’abbé de Condillac était ressuscité : Tronchin le croyait mort avec raison, puisqu’il ne l’avait pas traité.

Pour M. le chevalier de La Tremblaye, tout ce que je sais c’est qu’il doit réussir auprès des hommes par la douceur de ses mœurs, et auprès des dames par sa figure.

Vous voilà instruit de tout, mon cher maître ; je vous ferai part de la réponse de Gabriel, s’il m’en fait une.

  1. Dans la cinquième des Lettres écrites de la montagne.