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5869. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[1].
(fils).
6 janvier 1765, à Ferney.

Monsieur, permettez qu’un vieil aveugle se joigne à la foule de tous ceux qui vous sont attachés, et qui vous témoignent les sentiments dont ils sont pénétrés pour vous. Je me serais acquitté plus tôt de ce devoir, qui est celui de mon cœur, si les neiges du mont Jura et des Alpes ne m’avaient mis dans un état pitoyable. Je sais, monsieur, combien les lettres dont on vous accable ont dû être pour vous un surcroît d’affliction, combien tous ces devoirs sont tristes, et à quel point il peut vous être désagréable d’interrompre vos occupations et de renouveler votre douleur par des réponses qui vous emportent un temps précieux. Je crois que dans de telles occasions on est bien dispensé de répondre, et je ne vous demande en grâce, monsieur, que de vouloir bien agréer avec votre bonté ordinaire les témoignages sincères du véritable intérêt que je prends à tout ce qui vous regarde, de mon attachement à votre personne, et du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

5870. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[2].
6 janvier 1765, à Ferney.

Je mourrai donc probablement sans vous revoir, mon cher président : car je suis bientôt entièrement aveugle, et je ne jouirai plus guère de la belle vue du lac de Genève et du magnifique et horrible tableau de la perspective des Alpes. Le pis est que je suis privé des séances de votre Académie.

Je n’avais vu qu’un moment Mme  de La Marche[3] dans ma retraite. Ceux qui ont des yeux disent qu’elle était très-jolie ; et on ajoute que son caractère était charmant. La mort se plaît à frapper de belles victimes ; peut-être serait-elle encore en vie si elle était restée auprès du grand Tronchin, qui a la réputation de

  1. Éditeur, H. Beaune.
  2. Éditeur, Th. Foisset.
  3. Mlle  de Berbis-Cromey, première femme du second premier président de La Marche (Jean-Philippe), morte sans enfants.