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d’environ six cents, représenter l’énormité du cas ; et Jean-Jacques ne manqua pas de leur faire dire que, si on rôtissait les écrits d’un Genevois, il était bien triste qu’on n’en fît pas autant à ceux d’un Français. Un magistrat vint me demander poliment la permission de brûler un certain Portatif : je lui dis que ses confrères étaient bien les maîtres, pourvu qu’ils ne brûlassent pas ma personne, et que je ne prenais nul intérêt à aucun Portatif.

Pendant ce temps Jean-Jacques faisait imprimer, dans Amsterdam, un gros livre bien ennuyeux pour toutes les monarchies, et qui ne peut guère être lu que par des Genevois : cela s’appelle les Lettres de la montagne. Il y souffle le feu de la discorde, il excite tous les petits ordres de ce petit État les uns contre les autres, et, à la première lecture, on a cru qu’il y aurait une guerre civile. Pour moi, je crois qu’il n’y aura rien, et que le tocsin de Rousseau ne fera pas un bruit dangereux. S’il y a quelques coups de poing donnés, je ne manquerai pas de vous en avertir, soit pour vous amuser, soit pour vous prier d’engager M. le duc de Praslin à mettre le holà.

Je ne sais quel ministre de je ne sais quelle puissance, ou quelle faiblesse chrétienne, à la Porte ottomane, demanda un jour audience au grand vizir pour lui apprendre que les troupes de son maître chrétien avaient battu les troupes d’un autre prince chrétien. « Que m’importe, lui dit le vizir, que le chien ait mordu le porc, ou que le porc ait mordu le chien ? »

Vous ne serez point le vizir dans une occasion pareille ; vous serez un médiateur bienfaisant.

Si M. Crommelin vous parle de toutes ces tracasseries, je vous prie de lui dire que je vous en ai parlé comme je le devais.

Mme  d’Argental m’inquiète beaucoup plus que Genève. Je ne sais rien de pis que de n’avoir point de santé. Ma mie Fournier[1] n’a-t-elle pas d’elle un soin extrême ?

Respect et tendresse.


5834. — AUX AUTEURS DE LA GAZETTE LITTÉRAIRE.
24 décembre.

Vous rendez tant de justice, messieurs, aux ouvrages qu’on fait que j’ose vous prier de la rendre à ceux qu’on ne fait point. J’ai appris dans ma retraite que depuis plus d’un an on imprime

  1. Médecin de M. et Mme  d’Argental.