Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5453. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
9 novembre.

Mes anges, en attendant la tragédie, voici la farce ; il faut toujours s’amuser, rien n’est si sain. Votre lettre du 3 octobre, qui veut dire 3 novembre, parle d’une méprise dont je suis étonné et fâché. Le billet qui était pour vous, avec le paquet pour mon frère Damilaville, ne devait pas être dans ce paquet, mais avec ce paquet ; et même ce paquet pour frère Damilaville ne devait point être cacheté. C’est apparemment cette méprise qui a fait croire que je voulais solliciter la représentation d’Olympie. C’est de quoi je suis très-éloigné, et je vous dirai très-modestement : L’Europe me suffit. Je ne me soucie guère du tripot de Paris, attendu que ce tripot est souvent conduit par l’envie, par la cabale, par le mauvais goût et par mille petits intérêts qui s’opposent toujours à l’intérêt commun.

Conduisez toujours, mes chers anges, votre conjuration[2] avec votre prudence ordinaire ; ce ne sera pas moi qui vous trahirai. Il faut être aussi ferme que je le suis, pour avoir résisté si constamment à M. de Chauvelin l’ambassadeur. Puisque j’ai eu cette force avec lui, je ne mollirai avec personne. Soyez les maîtres absolus, et puisse cette facétieuse conjuration vous donner quelque plaisir !


5454. — À M. GOLDONI.
À Ferney, 9 novembre.

Aimable peintre de la nature, vous avez, la France et vous, tant de charmes l’un pour l’autre que je serai mort avant que vous puissiez revenir en Italie, et passer par mes petites retraites.

Je ne vous ai point encore envoyé les rêveries qu’on a imprimées sous mon nom, et qui courent le monde. La raison en est que je lis vos ouvrages, et que plus je les lis, moins j’aime les miens ; mais aussi je vous en aime davantage : cependant j’aurai soin de vous payer mon tribut, tout indigne qu’il est de vous.

J’ai eu l’honneur de voir vos ambassadeurs vénitiens ; ils sont venus sur ma Brenta ; je les ai reçus de mon mieux. Il me vient quelquefois des Italiens fort aimables, et ils ne servent qu’à

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. En faveur du Triumvirat.