qu’on suscite à un solitaire âgé de soixante-onze ans, accablé d’infirmités et presque aveugle ; mais il faut que les philosophes aient un peu de courage, et ne se lamentent jamais. J’embrasse de tout mon cœur notre illustre secrétaire.
Monseigneur, mon héros, je ne sais où vous êtes ; je ne sais où est Mme la duchesse d’Aiguillon, qui m’a honoré de deux gros volumes et d’un très-joli petit billet. Permettez que je m’adresse à vous pour lui présenter mes remerciements. Souffrez que je vous parle du tripot de la Comédie, qui tombe en décadence comme tant d’autres tripots. Il y a un acteur excellent, à ce qu’on dit, nommé Aufresne, garçon d’esprit, belle figure, bel organe, plein de sentiment. Il est actuellement à la Haye. Auteurs et acteurs, tout est en pays étranger.
Je me souviens d’avoir vu chez moi cet Aufresne, qui me parut fait pour valoir mieux que Dufresne ; je vous en donne avis. Monsieur le premier gentilhomme de la chambre fera ce qu’il lui plaira.
Il y a dans le monde quelques exemplaires d’un livre infernal intitulé Dictionnaire philosophique portatif. Ce livre affreux enseigne, d’un bout à l’autre, à s’anéantir devant Dieu, à pratiquer la vertu, et à croire que deux et deux font quatre. Quelques dévots, comme les Pompignan, me l’attribuent ; mais ils me font trop d’honneur. Il n’est point de moi ; et si je suis un geai, je ne me pare point des plumes des paons. Il y a un autre livre bien plus diabolique, et fort difficile à trouver : c’est le célèbre Discours de l’empereur Julien contre les Galiléens ou chrétiens, très-bien traduit à Berlin par le marquis d’Argens[1], et enrichi de commentaires curieux. Et, comme vous êtes curieux de ces abominations pour les réfuter, je tacherai de concourir à vos bonnes œuvres en faisant venir de Berlin un exemplaire pour vous l’envoyer, si vous me l’ordonnez.
Je conçois à présent que c’est au printemps que mon héros conduira sa très-aimable fille sur le chemin d’Italie ; et si je ne suis pas mort dans ce temps-là, je me ranimerai pour me mettre à leurs pieds. Le soussigné V. n’est pas dans un moment heureux pour ses yeux ; il présente son respect à tâtons.
- ↑ Voyez tome XXV, page 178 ; et XXVIII, I.