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bien sensées, et qui prouvent que la raison a encore des protecteurs dans ce monde.

Je crois que le public ne se souciera guère qu’une des îles Mariannes s’appelle Agrignon ou Agrigan, ni qu’il faille prononcer Barassa ou Bossera ; mais je crains que les ennemis de la philosophie ne regardent cette critique comme un triomphe pour eux.

Je suis surtout indigné de la manière dont on traite M. d’Alembert, pages 172 et 178[1]. Pour M. Diderot, il est maltraité dans tout l’ouvrage. Ce qu’il y a de pis, c’est que ces misérables sonnent le tocsin. Ils sont bien moins critiques que délateurs ; ils rappellent, à la fin du livre, quatre articles des arrêts du conseil et du parlement contre l’Encyclopédie ; ils ressemblent à des inquisiteurs qui livrent des philosophes au bras séculier.

Voilà donc la persécution visiblement établie ; et si on ne rend pas ces satellites de l’envie aussi odieux et aussi méprisables qu’ils doivent l’être, les pauvres amis de la raison courent grand risque. Je ne conçois pas que, parmi tant de gens de lettres qui ont tous le même intérêt, il n’y en ait pas un qui s’empresse à porter au moins un peu d’eau quand il voit la maison de ses voisins en flamme. La sienne sera bientôt embrasée, et alors il ne sera plus temps de chercher du secours.

Je voudrais bien que M. d’Alembert suspendît pour quelques jours ses autres occupations, et que, sans se faire connaître, sans se compromettre, il fît, selon son usage, quelque ouvrage agréable et utile, dans lequel il daignerait faire voir, en passant, l’insolence, la mauvaise foi, et la petitesse de ces messieurs. Il est comme Achille qui a quitté le camp des Grecs ; mais il est temps qu’il s’arme et qu’il reprenne sa lance. Je l’en prie comme le bon homme Phœnix[2], et je vous prie de vous joindre à moi.

Il est triste que le Dictionnaire philosophique paraisse dans ce temps-ci, et il est bien essentiel qu’on sache que je n’ai nulle part à cet ouvrage, dont la plupart des articles sont faits par des gens d’une autre religion et d’un autre pays.

Avez-vous à Paris la Traduction du plaidoyer de l’empereur Julien

  1. On dit, page 172, qu’il y a loin des Mélanges de littérature de d’Alembert, homme du monde, à ceux de Vigneul-Marville, c’est-à-dire dom d’Argonne, chartreux ; page 178, on reproche à d’Alembert d’avoir, dans son article Genève, accusé de socinianisme les théologiens de cette ville : ce qui, dit-on, est les déclarer brûlables comme Servet, qui fut brûlé à Genève à l’instigation de Calvin, en 1553, plutôt pour socinianisme que pour athéisme. (B.)
  2. Iliade, chant IX, vers 434.