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Vous ne m’avez pas seulement parlé du décès de M. d’Argenson, mon contemporain ; vous ne vous souvenez pas que nous l’appelions la chèvre[1] ; vous ne vous souvenez de rien, pas même du prince Ivan.

Cependant je baise le bout de vos ailes.


5756. — À M.  D’ALEMBERT.
7 septembre.

Mon cher philosophe, vos lettres sont comme vous au-dessus de notre siècle, et n’ont assurément rien de welche. Je voudrais pouvoir vous écrire souvent pour m’en attirer quelques-unes. C’est donc de votre estomac, et non pas de votre cœur, que vous vous plaignez ! Vos calomniateurs se sont mépris. Il semble qu’on vous injurie, vous autres philosophes, quand on vous soupçonne d’avoir des sentiments. Il paraît que vous en avez en amitié, puisque vous avez été fidèle à M. d’Argenson après sa disgrâce et après sa mort. Vous avez assisté à son enterrement comme son confrère ; mais Simon Lefranc, qui n’est le confrère de personne, a prétendu y être comme parent : il faisait par vanité ce que vous faisiez par reconnaissance.

Vous me parlez souvent d’un certain homme[2]. S’il avait voulu faire ce qu’il m’avait autrefois tant promis, prêter vigoureusement la main pour écraser Écr. l’inf…, je pourrais lui pardonner ; mais j’ai renoncé aux vanités du monde, et je crois qu’il faut un peu modérer notre enthousiasme pour le Nord : il produit d’étranges philosophes. Vous savez bien ce qui s’est passé[3], et vous avez fait vos réflexions. Dieu merci, je ne connais plus que la retraite. Je laisse Mme  Denis donner des repas de vingt-six couverts, et jouer la comédie pour ducs et présidents, intendants et passe-volants, qu’on ne reverra plus. Je me mets dans mon lit au milieu de ce fracas, et je ferme ma porte. Omnia fert ætas[4].

Vraiment j’ai lu ce Dictionnaire diabolique : il m’a effrayé comme vous ; mais le comble de mon affliction est qu’il y ait des chrétiens assez indignes de ce beau nom pour me soupçonner d’être l’auteur d’un ouvrage aussi antichrétien. Hélas ! à peine

  1. Voyez tome XIV, page 105 ; et XXXIX, 109.
  2. Le roi de Prusse.
  3. L’assassinat du prince Ivan.
  4. Virgile, Ecl. ix, 52.