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attendrissement ; quelques citoyens genevois venaient quelquefois à nos comédies et à nos soupers : il plut à Jean-Jacques de m’écrire[1] ces douces paroles : « Vous donnez chez vous des spectacles : vous corrompez les mœurs de ma république, pour prix de l’asile qu’elle vous a donné. »

J’eus assez de sagesse pour ne pas répondre à Jean-Jacques ; et la république de Jean-Jacques ayant jugé à propos, depuis, de brûler son livre, et de décréter de prise de corps sa personne, Jean-Jacques a imaginé que je m’étais vengé de lui parce qu’il m’avait offensé, et que c’était moi qui avais engagé le conseil de Genève à lui donner cette petite marque d’amitié. Le pauvre homme m’a bien mal connu. Il ne sait pas que je vis chez moi, et que je ne vais jamais à Genève ; il devrait savoir que je ne me venge jamais des infortunés. Un de ses grands malheurs, c’est que la tête lui a tourné.

Adieu, monsieur ; vous avez le mérite des véritables gens de lettres, et vous n’en avez pas les injustices. Comptez que je m’intéresse à vous aussi vivement que je plains Jean-Jacques.


5697. — DE M.  D’ALEMBERT.
30 juin.

Cette lettre, mon cher et illustre confrère, vous sera remise par M. Desmarets[2], homme de mérite et bon philosophe, qui désire de vous rendre hommage en allant en Italie, où il se propose des observations d’histoire naturelle qui pourraient bien donner le démenti à Moïse. Il n’en dira mot au maître du sacré palais ; mais si par hasard il s’aperçoit que le monde est plus ancien que ne le prétendent même les Septante, il ne vous en fera pas un secret. Je vous prie de le recevoir et de l’accueillir comme un savant plein de lumières, et qui est aussi digne qu’empressé de vous voir. Adieu, mon cher et illustre confrère ; je vous embrasse de tout mon cœur, et je voudrais bien partager avec M. Desmarets le plaisir qu’il aura de se trouver avec vous.


5698. — À M.  GOLDONI.
Ferney, 30 juin.

Mon cher favori de la nature, je suis toujours réduit à dicter. Je suis bien vieux ; je perds la santé et la vue. Ne soyez point

  1. Le 17 juin 1760 ; voyez tome XL, page 423.
  2. Nicolas Desmaret, né en 1725, mort en 1815, géologue distingué, membre de l’Institut (académie des sciences).