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note pour cette gazette : elle pourra amuser mes anges. M. Arnaud étendra et embellira mon texte ; je me borne à donner des indications.

Je répète à mes anges qu’il doit m’être arrivé un paquet d’Angleterre à M. le duc de Praslin[1]. Si on ne me fait pas parvenir mes instruments, avec quoi veut-on que je travaille ? On ne peut pas rendre des briques quand on n’a point de paille[2], à ce que disaient les Juifs, quoique je n’aie jamais vu faire de briques avec de la paille.

Mais qui donc sera honoré du ministère de la typograpbie[3] ? M. de Malesherbes n’avait pas laissé de rendre service à l’esprit humain, en donnant à la presse plus de liberté qu’elle n’en a jamais eu. Nous étions déjà presque à moitié chemin des Anglais, car nous commencions à tâcher de les imiter en tout ; mais nous sommes bien loin de leur ressembler.

J’ai toujours oublié de réfuter ce que mes anges disent de la dame[4] libraire de l’Académie. Elle ne devait pas, en convolant en secondes noces, violer le dépôt que les Cramer avaient remis entre ses mains. Un libraire peut aisément faire banqueroute pour avoir imprimé des livres qui ne se vendent point ; mais un argent dont on est dépositaire n’est pas un objet de commerce : ainsi il me paraît que les Cramer ont très-grande raison de se plaindre. Manger l’argent d’autrui, et donner en payement des livres dont personne ne veut, est un étrange procédé.

Quoi qu’il en soit, le Corneille devrait déjà être imprimé, et il ne l’est pas. Ce n’est pas moi assurément qui suis en retard ; vous savez que je vais toujours vite en besogne. J’aurais fait imprimer le Corneille en six mois, si je m’étais mêlé de la presse. Je songe toujours que la vie est courte, et qu’il ne faut jamais remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui. J’espère pourtant que vous aurez pour vos étrennes le recueil des belles et des détestables pièces de Pierre Corneille.

M. de Chauvelin, l’ambassadeur, prétend que je dois lui faire confidence de quelque chose pour le mois d’avril ; je lui ai répondu que, si je lui ai promis pour le mois d’avril[5], je lui

  1. Voltaire en a déjà parlé dans sa lettre du 7 septembre.
  2. Exode, V. 16.
  3. L’imprimerie et la librairie étaient dans les attributions du chancelier (ou du garde des sceaux), qui en déléguait l’administration à un directeur général.
  4. La veuve Brunet.
  5. VVoyez la lettre 5427.