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ché par un débordement de bile, non pas au moral et au figuré (quoique en vérité ce monde si parfait en vaille bien la peine), mais au propre et au physique, et presque aussi abondamment que Palissot vient d’en verser dans sa Dunciade. Avez-vous lu ce joli ouvrage, ou plutôt avez-vous pu le lire ? Il faut avouer que de pareils écrivains font bien de l’honneur à leurs Mécènes. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que l’auteur, pour avoir représenté, dans sa pièce des Philosophes, de très-honnêtes gens comme des cartouchiens, a été loué à la cour, protégé, récompensé. Il s’avise, dans sa Dunciade, de dire que Crevier est un âne ; Crevier, vieux janséniste, se plaint au parlement ; le parlement veut mettre Palissot au pilori, et les protecteurs de Palissot le font exiler pour le soustraire au parlement ; on le traite avec la même faveur que l’archevêque de Paris. Dites après cela que les lettres ne sont pas favorisées. Quant à moi, j’en suis fort content ; et si je fais jamais une Dunciade, je me flatte d’en être quitte aussi pour quelques mois d’absence. Mais je ne ferai point de Dunciade, ou, si j’avais le malheur d’en faire une, ce ne serait ni M. Blin, ni M. du Rosoi, ni M. Sabatier, ni M. Rochon, ni même M. Fréron, que j’y mettais, ce serait des noms plus illustres.

Laissons toutes ces infamies, et parlons d’Olympie[1]. Je vous félicite de son grand succès. Vous y avez fait des changements heureux. Le rôle de Statira et celui de l’hiérophante sont beaux, celui de Cassandre a des moments de chaleur qui intéressent, celui d’Antigone et d’Olympie m’ont paru faibles ; mais Mlle  Clairon y est admirable au dernier acte. Quand elle serait un mandement d’évêque[2], ou l’Encyclopédie, elle ne se jetterait pas au feu de meilleure grâce. Voiture lui dirait qu’on ne lui reprochera pas de n’être bonne ni à rôtir ni à bouillir. Le spectacle est d’ailleurs grand et auguste, et cela s’appelle une tragédie bien étoffée : la représentation m’a fait très-grand plaisir, et la lecture que j’en ai refaite depuis a ajouté au plaisir de la représentation.

J’ai lu aussi depuis peu, par une espèce de fraude, un certain conte intitulé l’Éducation d’un prince[3] : cela me paraît bien fort pour feu Vadé : croyez-vous qu’il ait fait cela ? Pour moi, sans faire tort à la manière de Vadé, j’aime encore mieux ce conte-là que tous ceux qu’il nous a donnés, et que j’aime pourtant beaucoup. Mais, à propos de ces contes, permettez-moi, mon cher maître, de vous dire que vous êtes un drôle de corps. Je vous écris[4] qu’une personne, qui se dit de vos amies, dénigre Macare : le fruit de cet avertissement (après m’avoir marqué le peu de cas que vous faites de cette personne et de ses jugements) est une longue lettre que vous lui écrivez[5], et à laquelle vous joignez le conte des Trois Manières, en la priant de vouloir bien lui être favorable ; cela s’appelle offrir une chandelle au diable. Encore passe si vous n’en offriez qu’à des diables de cette espèce.

  1. Cette tragédie avait été jouée le 17 mars ; voyez tome VI, page 93.
  2. L’Instruction pastorale de l’archevêque de Paris, Chr. de Beaumont, en faveur des jésuites, avait été condamnée au feu le 21 janvier 1764.
  3. Voyez tome X.
  4. Voyez page 137.
  5. La lettre 5585.