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vous voir et de vous entendre ; c’est le sort de tous ceux qui ont passé à Carlsruhe : cette noble retraite est devenue, grâce à Votre Altesse sérénissime, l’asile de la vertu et du bonheur. Que reste-t-il à tous ces rois qui ont ébranlé l’Europe par leurs guerres, que de revenir chacun dans leur Carlsruhe ? Vous êtes, madame, plus sage qu’eux tous, car vous êtes demeurée en paix chez vous, et ils sont forcés enfin de vous imiter.

Je suis, avec un profond respect, madame, de Vos Altesses sérénissimes, etc.


5606. — À M. DAMILAVILLE.
30 mars.

J’ai à peine le temps, mon cher frère, de vous remercier, en deux mots, de tout ce que vous m’avez écrit de charmant le 22 de mars. Les belles-lettres sont dans un étrange avilissement à Paris ! Mais je me trompe : ce ne sont pas les belles-lettres, ce sont les vilaines, les infâmes lettres ; c’est la satire sans sel, la grossièreté sans esprit, l’envie sans aucune raison d’être envieux, la méchanceté dans toute sa laideur.

Plus on cherche à mordre notre ami Platon[1], et plus je lui suis attaché. Votre zèle pour la saine littérature est infatigable : vous êtes bien loin de ressemblera ceux[2] qui ont le temps d’aller dîner tous les jours très-loin de chez eux, et qui n’ont pas le temps, pendant six mois, d’écrire une seule lettre à leurs amis ; ceux-là glacent le cœur, et vous l’échauffez. Je serais fort étonné si l’on permettait actuellement la Tolérance. J’ai toujours pensé qu’il fallait attendre ; mais mon cher frère voit les choses de plus près, et mieux que moi.

Je crois que le frère Gabriel Cramer a fini d’imprimer les Contes de Guillaume Vadè[3]. Il y a des choses un peu vives ; on y a ajouté quelques morceaux de Jérôme Carré[4]. Jérôme et Guillaume sont des gens hardis ; mais la plaisanterie fait tout passer. Vous pouvez dire, dans l’occasion, aux gens difficiles, que c’est un recueil de plusieurs polissons, dont aucun, ne se donnant pour

  1. Diderot.
  2. Thieriot.
  3. Voyez la note 2, tome XXVI, page 391.
  4. C’était sous le nom de Jérôme Carré, et sous le titre Du Théâtre anglais, etc. que Voltaire reproduisit, en 1764, dans le volume intitulé Contes de G. Vade, son Appel à toutes les nations ; voyez tome XXIV, page 191.