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serait la philosophie de la nature ; vous ne prendriez point vos idées ailleurs que chez vous ; vous ne chercheriez point à vous tromper vous-même. Quiconque a, comme vous, de l’imagination et de la justesse dans l’esprit peut trouver dans lui seul, sans autre secours, la connaissance de la nature humaine : car tous les hommes se ressemblent pour le fond, et la différence des nuances ne change rien du tout à la couleur primitive.

Je vous assure, madame, que je voudrais bien voir une petite esquisse de votre façon. Dictez quelque chose, je vous prie, quand vous n’aurez rien à faire : quel plus bel emploi de votre temps que de penser ? Vous ne pouvez ni jouer, ni courir, ni avoir compagnie toute la journée. Ce ne sera pas une médiocre satisfaction pour moi de voir la supériorité d’une âme naïve et vraie sur tant de philosophes orgueilleux et obscurs : je vous promets d’ailleurs le secret.

Vous sentez bien, madame, que la belle place que vous me donnez dans notre siècle n’est point faite pour moi ; je donne, sans difficulté, la première à la personne à qui vous accordez la seconde[1]. Mais permettez-moi d’en demander une dans votre cœur : car je vous assure que vous êtes dans le mien.

Je finis, madame, parce que je suis bien malade, et que je crains de vous ennuyer. Agréez mon tendre respect, et empêchez que M. le président Hénault ne m’oublie.


5601. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL[2].
21 mars.

J’allais faire partir ce petit morceau pour la Gazette littéraire, lorsque je reçois la lettre du 15 mars de mes anges. Ils me donnent de grandes espérances contre ces dîmes établies de droit divin et contre le concile de Latran ; nous espérons tout des bontés de mes anges et de M. le duc de Praslin. J’aimerai mes anges et mon terrain ingrat ; je le cultiverai avec bien plus de soin. Il n’était pas juste, en vérité, que ce fût moi qui semât et labourât pour la sainte Église.

Tant mieux qu’Olympie soit retardée[3]. Elle en sera mieux jouée et mieux reçue, et plus le carême sera avancé, moins il

  1. Dans sa lettre du 14 mars à Voltaire, Mme  du Deffant ne parle pas de première ni de seconde place ; il s’agit peut-être du roi de Prusse. (B.)
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.
  3. On l’avait jouée depuis quatre jours.