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Mon cher frère, que je plains les gens de lettres ! Je serais mort de chagrin si je n’avais pas fui la France ; je n’ai goûté de bonheur que dans ma retraite. Je vous prie de dire à votre ami combien je l’estime et combien je l’honore. Je lui souhaite des jours tranquilles ; il les aura, puisqu’il ne se compromet point avec les insectes du Parnasse, qui ne savent que bourdonner et piquer. Mon ambition est qu’il soit de l’Académie ; il faut absolument qu’on le propose pour la première place vacante. Tous les gens de lettres seront pour lui, et il sera très-aisé de lui concilier les personnes de la cour, qui obtiendront pour lui l’approbation du roi. Je n’ai pas grand crédit assurément, mais j’ai encore quelques amis qui pourront le servir. Notre cher ange, M. d’Argental, ne s’y épargnera pas.

Je vois bien, mon cher ami, qu’il est plus aisé d’avoir des satires contre le prochain que d’avoir le mandement de Christophe, et le livre intitulé Il est temps de parler[1].

Je vous embrasse de tout mon cœur. Écr. l’inf…


5596. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
14 mars.

Divins anges, j’ai reçu la Gazette littéraire[2], et j’en suis fort content. L’intérêt que je prenais à cet ouvrage, et la sagesse à laquelle il est condamné, me faisaient trembler ; mais, malgré sa sagesse, il me plaît beaucoup. Il me paraît que les auteurs entendent toutes les langues ; ainsi ce ne serait pas la peine que je fisse venir des livres d’Angleterre. Paris est plus près de Londres que Genève, mais Genève est plus près de l’Italie ; je pourrais donc avoir le département de l’Italie et de l’Espagne, si on voulait. J’entends l’espagnol beaucoup plus que l’allemand, et les caractères tudesques me font un mal horrible aux yeux, qui ne sont que trop faibles. Je pense donc que, pour l’économie et la célérité, il ne serait pas mal que j’eusse ces deux départements, et que je renonçasse à celui d’Angleterre ; c’est à M. le duc de Praslin à décider. Je n’enverrai jamais que des matériaux qu’on mettra en ordre de la manière la plus convenable. Ce n’est pas à moi, qui ne suis pas sur les lieux, à savoir précisément dans quel point de vue on doit présenter les objets au public ; je ne veux que servir et être ignoré.

  1. Voyez la note 4, page 137.
  2. Le premier cahier est du 7 mars 1764 ; voyez tome XXV, page 151.