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5590. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Au Plessis, le 11 mars.

Votre lettre et vos contes, mon cher confrère, sont venus à propos pour dissiper la mélancolie d’un rhume mêlé de goutte qui me retient depuis six semaines au coin du feu. Les lettres, qui font le plaisir le plus vif des gens sains, sont la véritable consolation des malades. Vos Trois Manières sont toutes fort bonnes. Je voudrais seulement que la triste Apamis s’appelât la tendre Apamis. La tristesse emporte toujours l’idée de l’ennui. Je voudrais aussi que le corsaire de Théone évitât cette expression de corsaire : Toutes deux je contenterai. Il voulut agir tout de bon est encore une façon de s’exprimer bonne à éviter. La délicatesse de notre langue se révolte encore plus contre les mots que contre les idées. À cela près, les trois contes sont, comme vous dites, assez propres, et pleins de ces vers heureux qui ont le sens juste des proverbes, et qui se gravent aisément et profondément dans la mémoire. Divertissez-vous à ce genre, dans lequel La Fontaine peut être surpassé ; mais, de grâce, n’ayez pas la paresse de fouiller dans vos poches : vous les trouverez pleines des plus belles gazes du monde ; il serait dommage que vous négligeassiez de vous en servir. Notre secrétaire est toujours de mes amis. Je vais aller demain passer quelques jours a Paris ; la goutte et le rhume ont tout dérangé. Je lirai le petit Traité de la Tolérance ; il est aisé aux particuliers d’en suivre les maximes ; c’est le chef-d’œuvre de la sagesse d’un gouvernement de les faire pratiquer sans exciter de fermentation, et sans blesser ou paraître blesser les principes. J’ai reçu votre Histoire universelle jusqu’à nos jours. Il s’en faut de peu (et il ne tiendra qu’à vous) que ce ne soit le tableau le plus vrai, comme il est le plus philosophique, le plus agréable, et le plus varié. Nous vous verrons quelque jour ; cela sera fort doux pour moi, et ne vous sera peut-être pas inutile. Mon cœur est vivement affligé. Mme  de Pompadour, mon amie depuis vingt-trois ans, à qui j’ai de très-grandes obligations, est attaquée à Choisy, depuis douze jours, d’une maladie dangereuse : le roi y perdrait une amie sincère, et les lettres une protectrice sûre et éclairée. Que la vie a peu d’instants heureux ! Les lettres ! les lettres ! les arts ! il n’y a que cela qui console dans l’affliction, et qui jette un voile heureux sur toutes nos misères. Adieu, mon cher confrère, conservez votre santé ; elle est utile à la mienne ; je vous regarde comme le meilleur médecin de l’Europe.


5591. — À M.  MOULTOU[1].
(11 mars.)

Mes yeux vous sont très-obligés, mon cher monsieur. Voici une lettre que vous pouvez envoyer à Mme  Calas, pour M. le marquis de Gouvernet.

  1. Éditeur. A. Coquerel.