Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle avait adoptée autrefois, non parce qu’elle était vérité, mais parce qu’elle était ancienne. Ces marauds ont traité la philosophie comme ils traitèrent Henri IV, et comme ils ont traité la bulle, que tantôt ils ont reçue, et qu’ils ont tantôt condamnée.

Ces contradictions règnent depuis Luc et Matthieu, ou plutôt depuis Moïse. Ce serait une chose bien curieuse que de mettre sous les yeux ce scandale de l’esprit humain. Il n’y a qu’à lire et transcrire : c’est un ouvrage très-agréable à faire ; on doit rire à chaque ligne. Moïse dit qu’il a vu Dieu face à face[1], et qu’il ne l’a vu que par derrière[2] ; il défend qu’on épouse sa belle-sœur[3], et il ordonne qu’on épouse sa belle-sœur[4] ; il ne veut pas qu’on croie aux songes[5], et toute son histoire est fondée sur des songes.

Enfin dans chaque page, depuis la Genèse jusqu’au concile de Trente, vous trouvez le sceau du mensonge.

Cette manière d’envisager les choses est palpable, piquante, et capable de faire le plus grand effet. Ne seriez-vous pas charmé qu’on fît un tel ouvrage ? Faites-le donc, vous y êtes intéressé ; vous devez décréditer ceux qui vous ont traité si indignement.

Si l’idée que je vous propose n’est pas de votre goût, il y a cent autres manières d’éclairer le genre humain. Travaillez, vous êtes dans la force de votre génie ; je me charge de l’impression, vous ne serez jamais compromis.

Adieu ; soyez sûr que votre Fontenelle n’eût jamais été aussi empressé que moi à vous servir.


5427. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
À Ferney, 6 octobre.

Me voilà, monsieur, redevenu taupe. Votre Excellence saura que, dès qu’il neige sur nos belles montagnes, mes yeux deviennent d’un rouge charmant, et que j’aurais très-bon air aux Quinze-Vingts. Cela me donne quelquefois de petits remords d’avoir bâti et planté entre le mont Jura et les Alpes ; mais enfin l’affaire est faite, et il faut faire contre neige bon cœur, aussi bien que contre fortune.

  1. Exode, xxxiii, 11.
  2. Ibid., xxxiii, 20, 23.
  3. Lévitique, xx, 21.
  4. Deutéronome, xxv, 5.
  5. Ibid., xiii, 1-3.