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On a très longtemps examiné, en composant l’ouvrage, s’il fallait s’en tenir à prêcher simplement l’indulgence et la charité, ou si l’on devait ne pas craindre d’inspirer de l’indifférence. On a conclu unanimement qu’on était forcé de dire des choses qui menaient malgré l’auteur à cette indifférence fatale, parce qu’on n’obtiendra jamais des hommes qu’ils soient indulgents dans le fanatisme, et qu’il faut leur apprendre à mépriser, à regarder même avec horreur les opinions pour lesquelles ils combattent.

On ne peut cesser d’être persécuteur sans avoir cessé auparavant d’être absurde. Je peux vous assurer que le livre a fait une très-forte impression sur tous ceux qui l’ont lu, et en a converti quelques-uns. Je sais bien qu’on dit que les philosophes demandent la tolérance pour eux ; mais il est bien fou et bien sot de dire que, « quand ils y seront parvenus, ils ne toléreront plus d’autre religion que la leur » : comme si les philosophes pouvaient jamais persécuter ou être à portée de persécuter ! Ils ne détruiront certainement pas la religion chrétienne ; mais le christianisme ne les détruira pas, leur nombre augmentera toujours ; les jeunes gens destinés aux grandes places s’éclaireront avec eux, la religion deviendra moins barbare, et la société plus douce. Ils empêcheront les prêtres de corrompre la raison et les mœurs. Ils rendront les fanatiques abominables, et les superstitieux ridicules. Les philosophes, en un mot, ne peuvent qu’être utiles aux rois, aux lois, et aux citoyens. Mon cher Paul de la philosophie, votre conversation seule peut faire plus de bien dans Paris que le jansénisme et le molinisme n’y ont jamais fait de mal ; ils tiennent le haut du pavé chez les bourgeois, et vous dans la bonne compagnie. Enfin, telle est notre situation, que nous sommes l’exécration du genre humain si nous n’avons pas pour nous les honnêtes gens ; il faut donc les avoir, à quelque prix que ce soit ; travaillez donc à la vigne, écrasez l’inf… Que ne pouvez-vous point faire sans vous compromettre ? ne laissez pas une si belle chandelle sous le boisseau[1]. J’ai craint pendant quelque temps qu’on ne fût effarouché de la Tolérance : on ne l’est point ; tout ira bien. Je me recommande à vos saintes prières et à celles des frères.

Le petit livret de la Tolérance a déjà fait au moins quelque bien. Il a tiré un pauvre diable des galères[2], et un autre de

  1. Matthieu, v. 15.
  2. Jean-Pierre Espinas : voyez la lettre à Richelieu, du 8 octobre 1766.