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faussement d’avoir pendu son fils. Tous les inquisiteurs ne sont pas à Lisbonne.

Adieu, mon cher philosophe. Quel atroce et ridicule monde que ce meilleur des mondes possibles ! encore s’il n’était que ridicule sans être atroce, il n’y aurait que demi-mal ; les impertinences jésuitiques, et médardiques, et parlementaires, seraient les menus plaisirs de la philosopliie ; mais, peut-on avoir le courage de rire quand on voit tant d’hommes s’égorger pour les sottises des prêtres et pour celles des rois ? Tâchons, mon cher maître, de ne nous laisser égorger ni par personne ni pour personne. Je ne sais, mais cette année 1762 me paraît grosse de grands événements politiques et civils. Les bavards auront de quoi parler, les fanatiques de quoi crier, et les philosophes de quoi réfléchir. Adieu ; je suis charmé que Mlle Corneille croisse, comme Jésus-Christ, en sagesse et en grâce, devant Dieu et devant les hommes[1].


4874. — À M. BECCARIA[2].

Monsieur, j’aurais dû vous remercier plus tôt ; mais je n’ai pas voulu vous faire un vain compliment ; j’ai voulu connaître toute l’étendue du bienfait, et vous rendre mes très-humbles actions de grâces en connaissance de cause. Ce n’est donc qu’après avoir lu votre livre avec la plus grande attention que j’ai l’honneur de vous dire qu’on n’a jamais rien écrit de plus vrai, de plus sage et de plus clair. Il n’y a qu’un homme de qualité, appelé aux premières fonctions, qui puisse traiter ainsi ce qui regarde le bien public. C’est ce qui est arrivé en Espagne au seul don Ustariz ; en France, au duc de Sully ; en Angleterre, à plusieurs membres du parlement.

Ce que vous dites, monsieur, de l’intérêt de l’argent comprend toute cette question en peu de mots. L’intcresse è sempre in ragione diretta delle ricerce, ed in inversa delle offerte. Les théologiens, qui ont tant embarrassé cette matière, auraient mieux fait de ne point parler de ce qu’ils n’entendaient pas.

Je vois, par votre livre, que le Milanais prend une face nouvelle. Il ne faut qu’un ministre pour changer tout un pays. Vous avez chez vous un grand homme[3], digne d’être secondé par vous. Je gémis que mon grand âge et mes maladies ne me permettent pas de vous admirer de plus près.

  1. Luc, ii, 52.
  2. Cette lettre, éditée par MM. de Cayrol et François, sans suscription et à la date de 1758, est adressée, selon nous, à Beccaria, qui publia en 1762 son ouvrage intitulé Du Désordre des monnaies dans les États de Milan, et des moyens d’y remédier, et qui était l’ami du comte Firmiani. (G. A.)
  3. Le comte Firmiani, gouverneur de Milan. (A. F.)