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Voulez-vous, quand vous voudrez vous amuser, que je vous envoie le Droit du Seigneur ? Cela est gai et honnête ; on peut envoyer cette misère à un cardinal. Je ne dis pas à tous les cardinaux, Dieu m’en garde !


· · · · · Pauci, quos æquus amavit
Juppiter · · · · · · · · · ·

(VirgÆneid., lib. VI, v. 129.)

J’ai encore à vous dire que je suis très-soumis à la leçon que vous me donnez de ne point lire, ou de ne lire guère, tous ces livres où des marquis[1] et des bourgeois gouvernent l’État. Connaissez-vous, monseigneur, la comédie danoise du Potier d’étain[2] ? C’est un potier qui laisse sa roue pour faire tourner celle de la fortune, et pour régler l’Europe : on lui vole son argent, sa femme, sa fille, et il se remet à faire des pots.

Oserai-je, sans abandonner mes pots, supplier Votre Éminence de vouloir bien me dire ce que je dois penser de l’aventure affreuse de ce Calas, roué à Toulouse pour avoir pendu son fils ? C’est qu’on prétend ici qu’il est très-innocent, et qu’il en a pris Dieu à témoin en expirant. On prétend que trois juges ont protesté contre l’arrêt ; cette aventure me tient au cœur ; elle m’attriste dans mes plaisirs, elle les corrompt. Il faut regarder le parlement de Toulouse ou les protestants avec des yeux d’horreur. J’aime mieux pourtant rejouer Cassandre, et labourer mes champs. Ô le bon parti que j’ai pris !

Le rat retiré dans son fromage[3] de Gruyère souhaite à Votre très-aimable Éminence toutes les satisfactions de toutes les espèces qui lui plairont ; il est pénétré pour elle du plus tendre et du plus profond respect.


4869. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 27 mars.

Vous me demanderez peut-être, mes divins anges, pourquoi je m’intéresse si fort à ce Calas, qu’on a roué : c’est que je suis homme, c’est que je vois tous les étrangers indignés, c’est que tous vos officiers suisses protestants disent qu’ils ne combattront

  1. Le marquis de Mirabeau est auteur de l’Ami des hommes et de la Théorie de l’impôt.
  2. Par Holberg.
  3. La Fontaine, livre VII, fable iii.