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donne à Maxime par clémence ou par mépris, à la bonne heure ; mais on est révolté qu’il le conserve au rang de ses amis. Je crois que cette observation mérite d’être faite.

Vous êtes en peine de mon âme, dans le vide de l’oisiveté à laquelle je suis condamné à l’avenir. Avouez que vous me croyez ambitieux comme tous mes pareils ; si vous me connaissiez davantage, vous sauriez que je suis arrivé en place philosophe, que j’en suis sorti plus philosophe encore, et que trois ans de retraite ont affermi cette façon de penser au point de la rendre inébranlable. Je sais m’occuper ; mais je suis assez sage pour ne pas faire part au public de mes occupations ; je n’avais besoin pour être heureux que de cette liberté dont parle Virgile, quæ sera tamen respexit inertem[1]. Je la possède en partie ; avec le temps je la posséderai tout entière. Une main invisible m’a conduit des montagnes du Vivarais au faîte des honneurs ; laissons-la faire, elle saura me conduire à un état honorable et tranquille ; et puis, pour mes menus plaisirs, je dois, selon l’ordre de la nature, être l’électeur de trois ou quatre papes[2], et revoir souvent cette partie du monde qui a été le berceau de tous les arts. N’en voilà-t-il pas assez pour bercer cet enfant que vous appelez la vie ? Ne me souhaitez que de la santé, mon cher confrère ; j’ai ou j’aurai tout le reste. Quand je désire une longue vie, je suppose votre existence et celle de quelques amis : car je suis comme Mlle Scudéri, je ne voudrais pas vivre éternellement si mes amis n’étaient éternels comme moi. Adieu, mon cher confrère ; je ris comme un fou quand je songe que vous êtes destiné à vivre en Suisse, et moi à habiter un village.



4849. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney[3].

Ô anges ! tous connaissez les faibles mortels, ils se traînent à pas lents. Quatre vers le matin, six le soir, dix ou douze le lendemain, toujours rentrayant, toujours rapetassant, et ayant bien de la peine pour peu de chose. Renvoyez-moi donc ma guenille, afin que sur-le-champ elle reparte avec pièces et morceaux, et que la hideuse créature se présente devant votre face, toute recousue et toute recrépie.

Mais, ô mes divins anges ! le drame de Cassandre est plus mystérieux que vous ne pensez. Vous ne songez qu’au brillant théâtre

    un bel ouvrage que comme une tragédie intéressante ». Voyez tome XXXI, page 339.

  1. Virgile, Bucol., i, v. 8.
  2. Bernis n’a participé qu’à deux élections de papes, Clément XIV en 1769, et Pie VI en 1775 ; mais ce dernier a régné vingt-cinq ans.
  3. Cette lettre formait le commencement d’une autre qu’on a toujours imprimée sans nulle raison à la fin de 1762. (G. A.)