Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/559

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Encore un mot pourtant. M. de Martel, fils de la belle Martel[1], ci-devant inspecteur de la gendarmerie, arrive ici sous un autre nom, par la diligence, avec une vieille redingote pelée, et une tignasse par-dessus ses cheveux : il dit qu’il vous connaît beaucoup. Expliquez-moi donc cela, je vous en conjure. Est-il fou ?


5379. — À M. PALISSOT.
À Ferney, 18 auguste.

Je deviens aveugle tout de bon, monsieur ; me voilà comme le bonhomme Tobie, et je n’espère rien du fiel d’un poisson. Je suis bien aise qu’il n’y ait plus de fiel entre M. de Tressan et vous[2] ; et je voudrais que vous pussiez être l’ami de tous les philosophes : car, au bout du compte, puisque vous pensez comme eux sur bien des choses, pourquoi ne pas être uni avec eux ? Il me semble que nous ne devons avoir que les sots pour ennemis. Je voudrais pouvoir vous voir à Ferney avec les Diderot, les d’Alembert, les Hume, les Jean-Jacques. Nous chanterions tous Mlle Corneille et son grand-oncle ; mais Fréron n’en serait pas.

Sans compliments, et à vous de tout mon cœur.


5380. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
À Ferney, 19 auguste (car il est trop barbare
d’écrire aoust, et de prononcer ou).
l’aveugle voltaire
à l’aveugle marquise du deffant.

Les gens de notre espèce, madame, devraient se parler au lieu de s’écrire, et nous devrions nous donner rendez-vous aux Quinze-Vingts, d’autant plus qu’ils sont dans le voisinage de M. le président Hénault. On m’a mandé qu’il avait été dangereusement malade ces jours passés, mais qu’il se porte mieux. Je m’intéresse bien vivement à votre santé et à la sienne : car enfin il faut que ce qui reste à Paris de gens aimables vive longtemps, quand ce ne serait que pour l’honneur du pays.

Êtes-vous de l’avis de Mécène, qui disait : Que je sois gout-

  1. À qui Voltaire avait adressé, en 1731, une épître (voyez tome X) commençant ainsi :

    Ô très-singulière Martel !

  2. Tressan avait voulu faire chasser Palissot de l’Académie de Nancy.