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5376. — À M. DUPONT[1].
À Ferney, 16 auguste.

Je vois, monsieur, que vous embrassez deux genres un peu différents l’un de l’autre, la finance et la poésie. Les eaux du Pactole doivent être bien étonnées de couler avec celles du Permesse. Vous m’envoyez de fort jolis vers avec des calculs de sept cent quarante millions. C’est apparemment le trésorier d’Aboul-Cassem qui a fait ce petit état de sept cent quarante millions, payables par chacun an. Une pareille finance ne ressemble pas mal à la poésie ; c’est une très-noble fiction. Il faut que l’auteur avance la somme pour achever la beauté du projet.

Vous avez très-bien fait de dédier à M. l’abbé de Voisenon vos Réflexions touchant l’argent comptant du royaume ; cela me fait croire qu’il en a beaucoup. Vous ne pouviez pas mieux égayer la matière qu’en adressant quelque chose de si sérieux à l’homme du monde le plus gai. Je vous réponds que si le roi a autant de millions que l’abbé de Voisenon dit de bons mots, il est plus riche que les empereurs de la Chine et des Indes. Pour moi, je ne suis qu’un pauvre laboureur ; je sers l’État en défrichant des terres, et je vous assure que j’y ai bien de la peine. En qualité d’agriculteur, je vois bien des abus ; je les crois inséparables de la nature humaine, et surtout de la nature française ; mais, à tout prendre, je crois que le bénéfice l’emporte un peu sur les charges. Je trouve les impôts très-justes, quoique très-lourds, parce que, dans tout pays, excepté dans celui des chimères, un État ne peut payer ses dettes qu’avec de l’argent. J’ai le plaisir de payer toujours mes vingtièmes d’avance, afin d’en être plus tôt quitte.

À l’égard des Fréron et des autres canailles, je leur ai payé toujours trop tard ce que je leur devais en vers et en prose.

Pour vous, monsieur, je vous paye avec grand plaisir le tribut d’estime et de reconnaissance que je vous dois. C’est avec ces sentiments que j’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Pierre-Samuel Dupont, de Nemours, né à Paris en 1739, mort aux États-Unis le 6 août 1815, avait adressé à Voltaire des vers et un exemplaire de ses Réflexions sur l’écrit intitulé Richesse de l’État, 1763, in-8o ; voyez la note 2. page 499.