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c’est un mérite de plus d’avoir choisi une action vraiment tragique, qui se lie nécessairement avec la pompe du spectacle. On m’écrit que le second volume de l’Histoire de Pierre le Grand paraît, et que vous avez donné une nouvelle édition de votre Histoire universelle, dans laquelle notre dernière guerre est comprise. J’ai mandé qu’on m’envoie tout cela. Outre l’empressement que j’ai pour tout ce qui vient de vous, je suis fort curieux de savoir comment vous avez traité la guerre d’Allemagne. Peu de vos lecteurs seront plus dignes que moi d’apprécier cette partie de votre Histoire générale.

Votre dernière lettre m’annonce une résolution qui m’afflige. Vous voulez vivre et mourir chez les Allobroges. Je m’étais flatté de vous revoir dans mon voisinage. J’espère au moins que l’air pur des Alpes vous fera vivre autant que Sophocle. On vous appellera un jour le Vieux de la Montagne, bien différent de celui qui faisait trembler tous les rois d’Asie. Votre empire sera plus doux ; vous éclairerez votre siècle, et vous ne ferez peur qu’aux vices et aux ridicules. Pour moi, à qui on a donné pour pénitence de jouir tranquillement d’une grande dignité et d’un revenu honnête, je cultiverai mon jardin ; je lirai pour la centième fois vos ouvrages ; je comparerai les temps, les actions des hommes, les contrastes de la vie ; j’allongerai la mienne par la frugalité du corps et par la tranquillité de l’âme, je l’animerai par l’amitié, je la diversifierai par des études variées et toujours volontaires : voilà mon plan, où vous voyez que vous tenez la place honorable.

Adieu, mon cher confrère ; soyez toujours gai, et faites-moi part de votre gaieté.


5334. — À M. MARMONTEL.
À Ferney, par Genève, 7 juillet.

Voilà le froid Bougainville mort[1], mon cher ami. Il faut que vous réchauffiez l’Académie. Je vais écrire à tous mes amis. Ce n’est pas que vous en ayez besoin : c’est uniquement pour me faire honneur. J’ose croire que vous n’aurez point de concurrent ; votre excellent ouvrage vous ouvre toutes les portes. Il n’y a pas longtemps qu’étant las de faire des commentaires sur Corneille, j’ai renvoyé le lecteur à votre Poétique[2], en lui disant qu’il n’y en a point de meilleure.

Figurez-vous que je vous avais envoyé par M. Bouret une jolie édition de la Pucelle, avec quelques remarques sur la poésie hébraïque[3], que j’ai trouvée toujours d’une extravagance très-insipide.

  1. Jean-Pierre de Bougainville, traducteur de l’Anti-Lucrèce, né en 1722, était mort le 22 juin 1763.
  2. Voyez tome XXXII, page 299.
  3. Il s’agit sans doute de l’article sur l’ouvrage de Lowth ; voyez tome XXV, page 201.