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5315. — À M. DAMILAVILLE.
15 juin.

Mon cher frère, il est plus que probable que M. Janel, qui m’a écrit, n’a agi que par des ordres supérieurs, et très-supérieurs. On ne veut pas que certains ouvrages entrent dans Paris ; mais j’ose me flatter qu’on les lit, qu’on en fait son profit en secret, et qu’on est beaucoup plus éclairé et beaucoup plus philosophe que le public ne pense. La preuve en est qu’on est très-loin de persécuter ceux qui ont envoyé ces ouvrages, dans lesquels les honnêtes gens s’éclairent. Il y a des ministres qui sont aussi de très-bons cacouacs. Vous me direz : Comment se sont-ils déclarés, il y a quelques années, contre certains sages ? C’est que ces sages avaient un peu trop effarouché l’amour-propre des grands : c’est qu’ils prêchaient un peu trop l’égalité, laquelle ne peut ni plaire aux grands, ni subsister dans la société.

Il y a donc un maître à danser qui répond à Jean-Jacques[1], et les maîtres en Israël ne lui répondent pas !

Je vous supplie de m’envoyer le projet de finances[2]. Je le trouve ridicule sur l’énoncé ; mais j’aime tout ce qui semble tendre à tort ou à travers au bien de l’État.

Voici deux Meslier que je hasarde sous l’enveloppe de M. de

    ture des ouvrages que vous avez eu la gracieuseté de m’envoyer. Je ne les ai reçus que depuis peu de jours, bien que votre lettre soit datée du 21 avril. Je ne suis pas en état de vous remercier de ma main, mais si faible que je sois, je puis sentir toute la force de votre mérite. L’admirable Iphigénie était digne d’être traduite par vous. Mais aux autres vous avez fait trop d’honneur. Vos Observations sont belles, instructives et doctes, autant que votre poésie est aimable et élégante. Quoique j’aperçoive de mes fenêtres les montagnes par lesquelles dut passer Annibal, je ne saurais déterminer la route qu’il suivit, et je doute fort qu’il s’ouvrit un chemin avec du vinaigre. Je m’en rapporte entièrement à vous, monsieur, qui avez une si ample connaissance de l’antiquité.


    Je vous déclare avec sincérité que votre manière d’écrire me plaît infiniment, autant que me surprend la force avec laquelle vous traitez les matières d’érudition et les lumières que vous dégagez à l’avantage des lettres.

    Je vous assure de mon attachement, et suis avec la plus parfaite estime votre dévoué serviteur.

    Voltaire,
    gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.

  1. Lettre à M. J.-J. Rousseau, par M. M. (Marcel), 1763, in-8o.
  2. Roussel de La Tour, conseiller au parlement, publia, sous le titre de Richesse de l’État, huit pages in-4o qu’il faisait distribuer. Ce petit écrit donna naissance à beaucoup d’autres. Roussel lui-même publia un Développement du plan intitulé Richesse de l’État, in-8o de 24 pages. Le Journal encyclopédique du 15 mai 1763 donna un extrait de l’ouvrage de Roussel, qui prétendait élever le revenu de l’État à 740 millions. Grimm en parle aussi longuement à la date du 1er juillet 1763.