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est moins frivole, mais moins polie, que la nôtre. Les Anglais parlent de leurs affaires ; notre unique occupation, à nous, est de parler de nos amusements : il n’est donc pas singulier que nous soyons plus difficiles et plus délicats que les Anglais sur le choix de nos plaisirs, et sur les moyens de nous en procurer. Au reste, qu’étions-nous avant le siècle de Corneille ? Il nous sied bien, à tous égards, d’être modestes ; vous seul en France auriez la permission de ne pas l’être, si vous vouliez ; mais votre esprit est trop étendu pour ne pas apercevoir les bornes de l’esprit humain. Ainsi vous êtes indulgent, avec plus de droit que personne pour être sévère.

J’espère que la fonte des neiges vous rendra la vue, et que vous perdrez bientôt ce côté de ressemblance avec le bon Homère. Pour moi, qui n’ai pas l’honneur de ressembler aux grands hommes, je suis fort content de ma santé, de ma gaieté et de mon courage. Le château du Plessis, dont vous me demandez des nouvelles, appartient à un de mes parents qui me le prête six mois de l’année ; il est à dix lieues de Paris, dans une situation riante, à côté de la forêt d’Hallate, que votre Pierre le Grand de Russie appelait le jardin de la France. J’y vois mes véritables amis ; j’y ai des livres, et toutes sortes d’amusements champêtres ; en voilà assez pour une manière de sage qui rit sans éclat des folies du genre humain, qui est assez jeune pour voir encore bien des changements dans la lanterne magique de ce monde, et qui a pris la ferme résolution de vivre cent ans sans se mêler d’autre chose que de ses affaires.

Quand vous voudrez me renvoyer Olympie, au sortir de sa toilette, elle sera bien reçue. Je retourne dans quinze jours à Vic-sur-Aisne, pour y passer tout l’été ; ainsi adressez, à cette époque, vos lettres à Soissons. Adieu, mon cher confrère ; personne ne sent plus vivement que moi les charmes de votre amitié.


5270. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
25 avril.

Mes chers anges, je vous envoie Olympie, que j’ai fait imprimer pour deux raisons assez fortes. La première, à cause des remarques, que je crois très-intéressantes et très-utiles, si utiles même qu’on ne les aurait jamais imprimées à Paris, où les véritables gens de lettres sont persécutés, et où l’insolent et ridicule Omer de Fleury ose proscrire la Religion naturelle, ainsi que le Bon Sens[1].

La seconde raison, c’est que ni Lekain ni Mlle Clairon ne mutileront mon ouvrage. Je vous avoue que, dans l’état où sont les choses, j’aime mieux les suffrages de l’Europe que ceux de la ville de Paris. Vous m’avouerez, mes chers anges, que c’est

  1. Voyez la note 3, tome XL, page 31.