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gorgement au foie. Nous sommes tout auprès d’Esculape-Tronchin, mais Esculape a la goutte, et nous avons le ridicule de demander la santé à un malade. Il n’y a que le ridicule de prier les saints qui soit plus fort. Mes anges, nous ne sommes nullement de votre avis sur la figure d’Antigone au mariage d’Olympie. Nous savons ce que c’est que d’assister à des mariages. Vous ne nous aviez jamais fait cette objection ; pourquoi la faites-vous aujourd’hui ? quel ennemi vous a parlé contre nous ? comment pouvez-vous me dire qu’Antigone a les raisons les plus fortes pour s’opposer a ce mariage ? Il n’en a certainement aucune ; il n’a pas le moindre droit, il n’a pas la possibilité, il est hors du temple dans le parvis : il faudrait qu’il fût fou pour troubler les cérémonies sacrées. Comment peut-il empêcher que Cassandre donne la main à son esclave ? Il n’est sûr de rien ; il n’a encore pris aucune mesure ; il n’a que des doutes, il n’est venu que pour les éclaircir. Dira-t-il : Je m’oppose à ce mariage, parce que je crois Olympie fille d’Alexandre ? Tout le monde, le grand prêtre, Cassandre, Olympie, répondraient : Tant mieux, c’est un mariage fort sortable ; vous n’êtes point en droit de vous y opposer ; vous ne connaissez pas seulement Olympie ; le droit civil et le droit canon sont contre vous : de quoi vous avisez-vous de faire du bruit à la messe ?

Antigone n’est donc pas si sot que de faire un tapage inutile ; il s’y prend plus prudemment ; il soulève les peuples, et fait venir des troupes ; il agit en prince, en ambitieux, en méchant homme.

Sentez-vous bien, mes anges, à quel point il serait ridicule de faire le mariage devant un confident qui ensuite en rendrait compte à Antigone ? Je suis si convaincu de tout ce que je vous dis, que le parterre même ne me ferait pas changer de sentiments. Cette pièce d’ailleurs n’est point du tout dans le système ordinaire du théâtre. Elle nous a fait un très-grand effet, à nous autres habitants des Alpes, qui ne connaissons point la tyrannie de l’usage. Le spectacle en est fort beau. Si vous aviez vu Statira entourée de ses prêtresses, et la scène où Olympie en embrassant sa mère lui avoue en larmes qu’elle aime le meurtrier de son père et de sa mère ; si vous aviez vu notre bûcher, vous auriez eu du plaisir comme nous. L’hiérophante est un digne prêtre ; catholiques, huguenots, luthériens, déistes, tout le monde l’aime. Je ne réponds point de Paris ; je crois bien que la cabale de Fréron criera, et c’est pourquoi j’ai toujours été dans le dessein de hasarder cette tragédie plutôt à l’impression qu’au théâtre. Mes chers anges, vous la ferez jouer si vous voulez ; je n’ai