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lentes mortadelles, qui ressemnlent au phallum des Égyptiens ! heureux les intrépides gosiers qui avaleront votre rossolis ! Je vais déclarer au grand médecin Tronchin qu’il faut absolument qu’il me guérisse, et que j’aie ma part du plaisir de mes convives. Ils s’écrient tous : « Ah ! la bonne chose que ce saucisson ! donnez-moi encore un petit coup de ce rossolis. » Et moi, je suis là comme l’eunuque du sérail[1], qui voit faire et qui ne fait rien. J’ai donné votre recette au cuisinier. Vous dites très-agréablement que le docteur Bianchi n’en a pas de meilleure. Ah ! monsieur, je vous crois, et je crois même que tous les médecins du monde sont dans le cas de M. Bianchi.

Si je peux guérir, je viendrai à votre beau théâtre. Il est bien triste pour moi de n’être pas témoin de l’honneur que vous faites aux lettres.

Quand notre peintre de la nature honorera mes petits pénates de sa présence, il verra mon théâtre achevé, et nous pourrons jouer devant lui ; mais il faudrait jouer ses pièces. Je pourrais tout au plus faire le vieux Pantalon Bisognosi. J’ai quelquefois deux ou trois heures de bon dans la journée, c’est-à-dire deux ou trois heures où je ne souffre pas beaucoup. Je les consacrerai à M. Goldoni ; et si j’avais de la santé, je le mènerais à Paris avant de faire mon voyage plus long.

Je ne laisse pas de travailler, tout malade que je suis ; je broche des comédies dans mon lit ; et quand j’ai fait quelque scène dans ma tête, je la dicte, j’envoie la pièce à Paris, on la joue ; les comédiens gagnent beaucoup d’argent et ne me remercient seulement pas. On en joue une actuellement[2] dont le sujet est le droit qu’avaient autrefois les seigneurs de coucher avec les nouvelles mariées le premier jour de leurs noces. On dit qu’il y a du comique et de l’intérêt dans cette pièce : elle réussit beaucoup ; mais je n’en suis pas juge, parce que c’est moi qui l’ai faite. J’aurai l’honneur de vous l’envoyer dès qu’elle aura été imprimée.


Intanto l’amo, l’onoro, la riverisco, la ringrazio.

  1. Voyez l’épigramme de Piron :

    Que fait ce bouc en si joli bercail ?
    · · · · · · · · · ·
    …C’est l’eunuque au milieu du sérail,
    Il n’y fait rien, et nuit à qui veut faire. (B.)

  2. Voyez tome VI, page 3.