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les aveugles sont gais. J’enverrai bientôt quelque chose à mes anges de fort sérieux, car je ne laisse pas de l’être parfois. Vous savez que mon patron est l’Intimé[1], qui avait plusieurs tons.

Corneille m’ennuie à présent autant que Marie m’amuse. Quel exécrable fatras que quinze ou seize pièces de ce grand homme ! Pradon est un Sophocle en comparaison, et Danchet un Euripide. Comment a-t-on pu préférer à un homme tel que Racine un rabâcheur d’un si mauvais goût, qui, jusque dans ses plus beaux morceaux, qui ne sont, après tout, que des déclamations, pèche continuellement contre la langue, et est toujours ou trivial ou hors de la nature ? Que Boileau avait bien raison de ne faire nul cas de toutes ces amplifications de rhétorique ! Qu’il est rare, dans notre nation, d’avoir du goût !

Mme Denis est toujours bien malade : il y a quinze jours qu’elle a la fièvre. Nous espérons que, dans peu, elle sera en état de vous écrire. Nous vous promettons d’appeler Pierre Corneille le premier enfant mâle qu’aura Manon Cornélie. Il y a en effet un pape nommé Corneille, dont on a fait un saint, parce que, dans les premiers siècles, tous les évêques prenaient le nom de saint au lieu de celui de monseigneur.

Au reste, mes divins anges, ne soyez nullement en peine de François Corneille ni de sa petite femme ; je suis toujours le maître des arrangements, et je proportionnerai la part du père à la recette. Ai-je eu l’honneur de vous mander que le roi ne prend que douze exemplaires, et non pas cent, comme disait monsieur le contrôleur général ? Sa Majesté approuve beaucoup ce mariage, et fera les choses noblement.

Le sang me bout sur les Calas ; quand la révision sera-t-elle donc ordonnée ?

N’entendrai-je parler que du triste succès de l’impression de Dupuis et Desronais ? Le tripot a bien fait ses affaires ; mais le libraire, dit-on, fait mal les siennes. Il n’y a que la pièce de. M. le duc de Praslin qui réussisse parfaitement[2].

Toute la famille se met sous les ailes des anges.

  1. Dans les Plaideurs, acte III, scène iii.
  2. La paix de 1763.