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à quoi je m’intéresse plus particulièrement, parce que je suis un bon laboureur, et que je serais un fort mauvais soldat.

Je me fais à présent une espèce de parc d’environ une lieue de circuit, et je découvre de ma terrasse plus de vingt lieues. Vous m’avouerez que vous n’en voyez pas tant de votre appartement de Versailles. Voyez donc comme j’irai à Paris au printemps prochain ! Je me croirais le plus malheureux de tous les hommes si je voyais le printemps ailleurs que chez moi. Je plains ceux qui ne jouissent pas de la nature et qui vivent sans la voir. Chacun vante la retraite ; peu savent y rester. Moi, qui ne suis heureux et qui ne compte ma vie que du jour où je vis à la campagne, j’y demeurerai probablement jusqu’à ma mort, et ce sera le terme de mon amitié pour vous.


5100. — À M. DAMILAVILLE.
6 décembre.

Mes frères, les Pensées tirées des objections diverses, etc., sont un excellent ouvrage. Il faut en tirer quelques exemplaires pour les sages ; mais je crois que rien ne fera jamais plus d’impression que le livre de Meslier. Songez de quel poids est le témoignage d’un mourant et d’un prêtre homme de bien. On dit qu’il paraîtra quelque chose[1] à l’occasion des Calas et des pénitents blancs, mais qu’on attendra que la révision ait été jugée.

Le docteur Tronchin m’a enfin mandé qu’il n’y avait point de guérison pour le petit enfant[2] à qui mon frère s’intéresse ; je souhaite que le docteur se trompe.

Qu’est-ce donc que ce drôle de fou qui traite le public comme Ajax traitait ses moutons[3] et qui tombe sur lui en furieux ? Il a donc fait une tragédie d’Ajax ? l’a-t-on mis aux petites-maisons ? comment se nomme-t-il ?

Est-il vrai qu’Élie de Beaumont est très-courroucé de voir la famille de Loyseau dans sa moisson[4] ? Mon cher frère, s’il est vrai, calmez ses douleurs ; représentez-lui que dans une affaire telle que celle des Calas, il est bon que plusieurs voix s’élèvent ;

  1. Traité sur la Tolérance, etc. ; voyez tome XXV page 13.
  2. Daumart ; voyez page 291.
  3. Poinsinet de Sivry ayant donné, le 30 août, 1762, sa tragédie d’Ajax, en publia une défense sous ce titre : Appel au petit nombre, ou le Procès de la multitude, 1762, in-8o, avec cette épigraphe : « Ajax ayant été mal jugé entra en fureur, et prit un fouet pour châtier ses juges. »
  4. La gloire de défendre les Calas.